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20) Doppelganger

Cáscaris s’ennuyait. Elle était pourtant capable de rester immobile plusieurs jours d’affilé sans cligner des yeux, comme elle l’avait récemment prouvé. Mais ici, seule dans sa chambre, elle n’accomplissait rien. C’était ça qui lui posait problème.

Puis soudain, comme en réponse à ses prières, elle entendit de grands bruits provenant de la cave. Un premier bruit qu’elle reconnaissait comme celui du sort de téléportation de Niñeris, et un deuxième, qui l’alarma davantage : des bruits de lutte. Elle se précipita donc dans le jardin et passa littéralement à travers la porte qui menait à la cave.

— Bordel Cásca’ ! s’exclama Cazadoris qui tentait d’attraper une pégase jaune. T’aurais pu ouvrir la porte normalement ! On va encore devoir la réparer !

— Ça avait l’air urgent… justifia la princesse guerrière.

— Idiote !! s’écria Niñeris en échouant à attraper la jument qui échappait toujours à sa petite sœur. Ne la laisse pas s’échapper par la porte !! Ou ce qu’il en reste !

Cáscaris étendit simplement le sabot sur sa gauche et intercepta la pégase sans aucun effort. Elle ramena ensuite son sabot vers son propre torse, afin de bloquer sa captive dans une prise d’étranglement. Fluttershy se débattit quelques secondes avant de comprendre qu’elle devrait mieux économiser son oxygène.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda la changeline cuirassée.

— Il se passe que notre petite sœur est une disgrâce pour la race des changelins ! déclara la princesse nourricière d’un ton cassant.

— Hey ! J’ai fait mon boulot, et je l’ai fait bien ! riposta la chasseuse.

Cáscaris n’avait pas besoin qu’on lui demande de mettre la jument captive dans le cocon qui trônait au milieu de la cave ; elle avait rapidement compris ce qu’il se passait.

— Heu, s’il vous plaît… couina Fluttershy, déjà à moitié engluée. On… on pourrait en parler ? Je ne dirais rien c’est promis ! Et puis qui va s’occuper de mes animaux ? Et mes amies vont se demander où je suis…

Un bref silence s’installa, pendant lequel deux des trois changelines présentes dans la pièce semblèrent réfléchir.

— Caza’, tu t’y colles, conclut Niñeris.

— Hein, mais pourquoi ?!

— Idiote ! Parce que c’est ta faute ! Et parce que tu t’y connais en animaux !

— Mais ils vont jamais croire que je suis… elle ! protesta la chasseuse. Les animaux sentent ce genre de choses !

— Après tout ce qui s’est passé, tu ne te souviens même pas de mon nom… ? soupira la pégase. 

D’un flash de sa magie, Niñeris acheva de refermer le cocon autour de la jument jaune, ne souhaitant pas l’entendre se plaindre davantage.

— Hé bien justement, reprit la princesse nourricière en pointant sa petite sœur du sabot. Essaie de faire illusion pour une fois ! Tu sais, ce qu’est sensé faire notre race !

— Je peux faire quelque-chose ? demanda simplement Cáscaris.

— Je ne pense pas, tu n’es pas… compétente, pour ce genre de problème, soupira Niñeris.

— Mais je m’ennuie ! rétorqua la guerrière. Je dois attendre la nuit avant de jouer les batponies !

— T’as qu’à dormir ! soupira Cazadoris en adoptant la forme de Fluttershy.

— J’ai pas sommeil.

— Je sais pas moi, va lire des magazines ! Je te prête les miens ! répondit la chasseuse avant de gagner la sortie de la cave. Je vais faire ce que je peux pour la remplacer, mais j’espère qu’elle est la seule à comprendre les animaux, sinon ils pourront me dénoncer.

À ces mots, la fausse Fluttershy prit son envol.

 

[Quelques minutes plus tard]

 

Cáscaris, allongée sur le lit de sa plus jeune sœur, ne voyait vraiment pas l’intérêt de tels magazines, si ça n’était pour étudier l’anatomie des poneys. Cependant, il s’agissait d’un sujet que chaque changelin maîtrisait dès sa naissance, alors à quoi bon l’étudier ? Et malgré ces remarques, l’ainée des princesses changelines ne parvenait pas à se détourner des pages de ces magazines. Il n’y avait que de beaux poneys prenant des poses avantageuses pour leur physique, parfois plusieurs poneys, enlacés dans des postures improbables. Des postures impropres à la reproduction, mais qui semblaient tout de même l’évoquer. Un modèle en particulier attirait l’attention de la guerrière. En se referrant à l’article lié aux images, elle trouva des informations très intéressantes ; au point de les lire à voix haute.

— "Cream Heart remporte, pour la troisième année consécutive, notre grand concours de MILF célibataire ! Les autres candidats avaient de très bons arguments pour prétendre à cette place, mais notre triple championne possède indubitablement les deux plus gros arguments de tous nos participants !"

Une note en bas de l’article renvoyait à une certaine page. Cáscaris se dépêcha d’aller la consulter et cligna des yeux en voyant une page se déplier à trois reprises pour afficher la gagnante du concours. Elle avait été photographiée allongée sur le dos dans des draps de satin rouge, avec de longues chaussettes à rayure, les membres postérieurs largement écartés. Écrit en tout petit au bas du poster, il y avait un commentaire, à côté de la dédicace du modèle.

— "Ce n’est pas évident d’être à la fois une mère et un poney dans la fleur de l’âge… J’aimerai pouvoir me dédoubler, afin de vivre pleinement mon rôle de mère tout en m’occupant de mes besoins de jument." Tiens, j’ai le problème inverse… remarqua Cáscaris en passant un sabot sous son menton.

Elle observa alors plus attentivement la photo, pour bien s’imprégner de l’apparence de la jument.

— Oui… Ça peut fonctionner…

 

[Quelques heures plus tard]

 

Cream Heart admirait son reflet dans la psyché de sa salle de bain. Elle était belle ; séduisante même, mais elle ne savait pas combien de temps encore elle le resterait. Un jour, peut-être bientôt, sa peau ne serait plus aussi ferme, son pelage moins brillant, ses yeux plus fatigués. Sans parler de ses autres attributs principaux. Elle soupira profondément en s’asseyant sur le rebord de la baignoire.

— À quoi bon… ? Ma beauté ne sers à rien d’autre qu’à gagner des prix… Des milliers d’étalons fantasment sur moi en lisant ce magazine, et je ne pourrais jamais en profiter !

Elle tourna de nouveau le regard vers son reflet. Quelque-chose était étrange. Le miroir reflétait parfaitement son corps, mais pas les objets autour d’elle. Elle se frotta les yeux, pensant que la fatigue la faisait halluciner. Puis elle s’approcha de son reflet.

— C’est ridicule, murmura-t-elle pour elle-même. Qu’est-ce qui ne va pas avec ce miroir ?

— Qu’est-ce qui ne va pas avec toi ? l’interrogea son reflet.

— Je, quoi ? fit la jument, incrédule. Oh, je n’aurais pas du prendre un deuxième verre de vin hier soir… grogna-t-elle en passant un sabot sur ses yeux.

Soudain, une voix se fit entendre depuis l’autre côté de la porte.

— MAMAN !! Est-ce que Sweetie Bell peut venir jouer à la maison ?!

Cream Heart serra les dents et soupira le moins bruyamment possible.

— Non mon trésor ! répondit-elle en élevant la voix. Maman est fatiguée, elle ne pourra pas vous-

Elle fut interrompue lorsque le sabot de son reflet traversa la frontière du miroir pour finir dans sa bouche.

— Je veux dire, oui, bien sûr ! rectifia le reflet. Laisse juste à maman le temps de prendre une douche !

— Super !! Merci maman ! s’écria la voix du poulain qui s’éloignait désormais vers le salon.

— Attend une minute, s’offusqua l’originale après avoir repoussé le sabot de son double. Je peux savoir qui tu es ? Ou ce que tu es ?

— Je suis toi, je suis ton double, répondit le reflet. Et je te propose de prendre du temps pour toi, pendant que je m’occupe de ton fils.

Un silence relativement long s’installa, jusqu’à ce que Cream Heart fronce les sourcils, comme si elle venait de se résoudre à une conclusion qu’elle n’appréciait guère.

— Tu es un changelin pas vrai ?

— Non.

— Bien sûr que si !

— Tu ne peux pas le prouver.

Si, tu es totalement un changelin, et tu as retiré le miroir d’une psyché qui coûte très cher juste pour soigner ton entrée !

— Je… je comptais la réparer…

— Écoute, soupira Cream Heart. Je te laisse une chance de jouer mon rôle correctement ! dit-elle en durcissant son regard. Est-ce que tu connais mon fils, au moins ?

— Button Mash prend son goûter à 16H30, deux sandwichs au beurre de cacahuète et a la gelée de groseille, sans la croute, coupés en triangle, il a droit à deux heures de jeux vidéos maximum avant le diner et à une heure avant d’aller se coucher, répondit le reflet.

L’originale sembla impressionnée, puis passa un sabot sous son menton d’un air songeur.

— Tu n’es pas un changelin réformé, hein ? demanda-t-elle.

— Je ne suis pas un changelin, je suis toi, répondit le reflet.

— Oui, oui, admettons, soupira Cream Heart. On est d’accord que tu ne comptes pas faire de mal à mon fils ou à ses amies.

— Je suis toi, je ne ferais rien que tu ne ferais pas.

Un bref silence s’installa…

— Très bien, ça me suffit ! déclara la mère de famille, qui avait déjà un sabot dehors, à cheval sur le rebord de la fenêtre. Je rentrerai avant 22H, et surtout ne touche pas à la bouteille de vin cachée en haut du placard !

— Je ne bois jamais… de vin, répondit le reflet d’un ton mystérieux.

Mais sa réponse ne fut jamais entendue, car les bruits de sabots lancés au galop de Cream Heart s’éloignaient déjà.

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