Chapitre 1
Guillaume Ier se massait les tempes pour faire disparaître la douleur. Il n'était que dix heures quinze du matin et un horrible mal de crâne pointait déjà. Le travail avait commencé tôt ce jour-là, de même que ses ennuis.
Il se passait toujours quelque chose dans le vaste empire des Pays-Bas et il n'avait jamais un moment de tranquillité. Il y avait toujours une pénurie de ressources à gérer, une cité-état dont il fallait s'occuper, un retard technologique à rattraper, une guerre qui se préparait entre d'autres empires, des merveilles qu'on lui piquait, un espion qui se faisait tuer, ou la terrifiante perspective de se retrouver à court d'argent. Le monde ne dormait jamais et, ces derniers temps, il avait l'impression que lui non plus.
Le problème, cette fois-ci, était l'hostilité grandissante entre les empires japonais et équestriens. Les relations entre ces deux anciens alliés s'étaient dégradées à toute vitesse et elles ne se résumaient désormais plus qu'à des insultes et des menaces. Il ne se passait pas un jour sans que Guillaume ne reçoive des appels à la fois de la princesse Célestia et d’Oda Nobunaga pour lui proposer de déclarer ensemble la guerre à l'autre. En dirigeant sage mais facilement irritable qu'il était, il répondait presque toujours la même chose : "Mes excuses, mais cet arrangement ne présente aucun intérêt pour nous".
L'ennui, c'est que plusieurs autres dirigeants avaient déjà commencé à choisir leur camp dans ce conflit mondial potentiel. Les Incas et les Américains avaient rejoint Célestia, tandis que la France et les États Pontificaux (il jouait avec un mod) s'étaient alliés à Nobunaga. L'affaire prenait une tournure inquiétante et Guillaume craignait de tôt ou tard devoir choisir un camp. Sa politique de neutralité avait jusque-là presque toujours fonctionné, cependant les autres dirigeants appréciaient de moins en moins le fait qu'ils ne se prononce pas et il commençait à recevoir des "encouragements" de la part de ses pairs pour qu'il choisisse enfin.
En vérité, Guillaume ne cultivait aucune affinité ou antipathie particulière envers le Japon ou Équestria. Pour lui, le conflit entre ces deux-là n'était qu'un obstacle pour sa potentielle victoire scientifique (encore quelques tours et il entrerait dans l'ère industrielle). Le vrai problème, c'était qu'une guerre mondiale ruinerait chacun des deux camps et pourrirait le climat politique pendant de nombreux tours. Peu importait le gagnant, il allait devoir investir pour agrandir son armée et se protéger des menaces et des contre-attaques de l'un ou de l'autre.
Et tout cela, Guillaume n'en voulait pas ; il avait donc concocté une brillante solution pour empêcher cette guerre imminente. Il allait inviter Oda Nobunaga et Célestia dans sa belle ville d'Amsterdam pour négocier la paix entre les deux nations. Il avait confiance en ses talents de négociateur et il disposait d'assez de richesses pour persuader les deux dirigeants de revenir à la raison. Il savait qu'il pouvait le faire !
En attendant l'arrivée de ses deux invités, il rangea rapidement son bureau afin que tout soit prêt pour l'entrevue. Il remit les documents à leur place, rajusta sa robe à culotte bouffante et s'assura d'avoir son gros livre rouge et jaune sous le bras. Quand il se sentit prêt, il regarda par la fenêtre en attendit le signal de sa secrétaire.
Il tenait la pose depuis un quart d'heure quand son téléphone sonna enfin. Il appuya sur le bouton et s'éclaircit la gorge.
– Oui, Béatrice ? Qu'y a-t-il ? demanda-t-il, tout en sachant déjà pourquoi elle appelait.
– Leurs excellences Célestia et Nobunaga sont là, monsieur.
– Faites-les entrer, Béatrice. Je suis prêt.
Il raccrocha avant qu'elle puisse répondre et retourna près de la fenêtre, mais il n'eut pas le temps de regarder plus longtemps dehors. Moins d'une seconde plus tard, la porte s'ouvrit.
– Célestia ! Oda ! Quelle bonne surprise ! les accueillit-il avec un grand sourire. J'espère que le voyage s'est passé sans problèmes ?
La princesse fronça les sourcils et jeta un regard au shogun.
– Ç'aurait été bien plus confortable si ce barbare ne trimballait pas toutes ces épées avec lui.
– Comment osez-vous ! éclata Oda. Ce sont des œuvres d'art inestimables ! Bien mieux que tout ce que les sculpteurs de ce trou à rat que vous appelez Canterlot pourraient jamais produire !
– J'ai créé de plus belles œuvres aux cabinets royaux, ricana Célestia.
Oda s'apprêtait à répliquer mais Guillaume agita les mains.
– Mes amis, s'il vous plaît ! Nous sommes ici pour parler de paix, pas pour jeter de l'huile sur le feu. Asseyez-vous et voyons comment nous pouvons rétablir l'harmonie entre nos peuples.
Guillaume désigna deux larges fauteuils en cuir, en face du sien. Il s'y installa et attendit en souriant que les deux autres dirigeants s'asseyent.
– Je suis un équidé, déclara la princesse. J'ai beaucoup de difficultés à m'asseoir dans des chaises faites pour les humains.
– Et moi, alors ! renchérit Oda. Il me faudrait retirer plusieurs couches de mon armure pour m'asseoir convenablement, et je refuse de le faire en présence d'un ennemi, ajouta-t-il en fusillant Célestia du regard.
– Oh, pitié, crâne d'obus ! Si je voulais vous tuer, j'aurais pu le faire depuis longtemps.
– Alors pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Trop faible, c'est bien ce que je pensais !
– Mes amis, s'il vous plaît, arrêtez ! cria Guillaume depuis son bureau. Nous n'arriverons à rien si vous continuez comme ça.
Célestia et Oda croisèrent tous les deux les bras/pattes, l'air boudeur.
– À présent, je suggère que nous passions en revue les récents évènements qui nous ont menés à cette situation. De cette manière, nous pourrons examiner qui est en tort et résoudre cette affaire avant qu'elle ne devienne incontrôlable. D'accord ?
Les deux autres dirigeants continuaient à bouder, sans rien dire.
– Bien ! s'exclama Guillaume. Et si nous commencions avec vous, Oda ? Qu'est-ce qui a provoqué cette inimité ?
Le shogun jeta un regard à Guillaume, puis un autre à Célestia. Avec ses épées qui dépassaient de tous les endroits possibles, il s'avança de quelques pas, jusqu'à dominer Guillaume, toujours assis dans son fauteuil.
– Tout a commencé il y a trente tours, quand j'ai développé la chimie. J'étais en train d'améliorer mes trébuchets en canons, en préparation de l'invasion de la cité-état de Prague. Vu mon grand nombre d'unités de siège, cela m'a coûté une bonne partie de mes réserves d'or. Comme mes finances baissaient, j'ai envoyé plusieurs de mes ouvriers aux frontières de mon empire afin de construire des comptoirs commerciaux, pour augmenter mes revenus. Sauf qu'à ce moment-là, une petite armée de piquiers barbares a capturé mes ouvriers et est partie avec. Je les ai pourchassés avec une unité de lanciers, mais pile quand j'allais les rattraper, ce tyran, là ! – il fit un geste de dégoût en direction de Célestia – a tué les barbares et libéré mes ouvriers. Elle a eu la possibilité de les rendre à leur propriétaire légitime, à savoir moi, mais à la place, elle m'a envoyé ça : "qui trouve garde, gros nul" !
– Ça ne s'est pas du tout passé comme ça, espèce de crétin ! explosa Célestia.
Elle trotta droit vers Oda pour le fixer dans les yeux.
– C'est intéressant, la manière dont vous oubliez de mentionner que ces ouvriers, vous les aviez volés à une cité-état avec laquelle MOI j'étais alliée !
Tous deux semblaient sur le point d'exploser. William leva la main.
– Très bien, nous avons entendu la version d'Oda. Et vous, Célestia ? Comment voyez-vous les choses ?
Célestia sourit, puis se tourna vers Oda. Elle alluma sa corne, le souleva par magie et le catapulta à l'autre bout de la pièce. Après un court vol plané, le pauvre samouraï s'écrasa contre une bibliothèque, avant de heurter le sol en geignant.
– Mais pourquoi avez-vous fait ça ? gémit-il de douleur.
– Parce que j'en avais envie, répondit la princesse.
Elle se tourna vers Guillaume et sourit à nouveau.
– Comme vous vous en doutez, cette histoire remonte à bien plus loin que ça.
– C'est-à-dire ?
– Et bien, comme je l'ai mentionné, je suis alliée avec la cité-état de Sydney depuis très longtemps. Nous commerçons ensemble depuis le début de l'Ère Classique. Leurs importations de fer et de chevaux ont assuré notre stabilité durant cette période troublée. À l'époque, j'avais décidé de me concentrer sur la construction de merveilles, pour en faire bénéficier mon empire et accélérer sa croissance. Nous avons terminé les Pyramides de Gizeh, la Statue de Zeus et le Colosse de Rhodes en seulement vingt tours, si je me souviens bien.
– Oui, moi aussi, je m'en souviens… fit Guillaume avec un petit froncement de sourcils.
– Quoi qu'il en soit, pendant que je me concentrais sur mes merveilles, je n'ai pas remarqué que les forces de monsieur Nobunaga avaient attaqué Sydney et avaient volé tout ce qu'y s'y trouvait. Avant que je ne puisse réagir, la cité était en feu et lui s'en allait avec les ouvriers capturés. Mais quelques tours plus tard, je suis par hasard tombée sur les barbares déjà mentionnés, que j'ai rapidement décimés grâce à mes spadassins. Quand j'ai découvert que les ouvriers qu'ils gardaient captifs étaient ceux de Sydney, je les ai intégrés à mon empire, pour qu'ils servent une juste cause. Pour toutes ces raisons, je considère que c'est l'empire japonais qui est en tort.
Célestia frappa le sol du sabot, tout en jetant un sourire dédaigneux à Oda, qui essayait encore de se remettre debout. Quand il y fut parvenu, il revint vers la princesse.
– Est-ce que vous êtes seulement demandé si ces ouvriers voulaient que vous les capturiez !? cria-t-il. Vous me traitez de sauvage, alors que vous faites la même chose que moi !
– Ils allaient servir une juste cause, tout le monde le sait ! rétorqua Célestia, son visage à quelques centimètres de celui du shogun. Et la fois où j'ai voulu vous offrir de l'or et que vous avez refusé, c'était quoi, votre raison ?!
– Je n'accepte pas la charité. C'est déshonorant, et ça vous fait vous sentir coupable.
– Mais de quoi est-ce que vous parlez ?!
– Je n'avais rien à vous donner en retour, répondit Oda en bombant le torse. J'aurai eu l'air d'un miséreux.
Célestia leva les yeux au ciel.
– C'est sûr que vous n'aviez absolument pas l'air miséreux quand vous vouliez m'acheter cinq unités de fer pour trente unités d'or.
– POUR LA DERNIÈRE FOIS, JE M'ÉTAIS TROMPÉ DE BOUTON !
– NON, VOUS L'AVIEZ FAIT EXPRÈS ! WASHINGTON ME L'A DIT !
– WASHINGTON PUE DU CUL !
– C'EST VOUS QUI PUEZ DU CUL !
– ET VOUS, VOUS PUEZ LE CROTIN !
Guillaume se massa à nouveau les tempes pour dissiper sa migraine, alors que les deux idiots continuaient à se disputer. Ils étaient là depuis quarante-cinq minutes et ils n'étaient arrivés à rien. Il soupira, puis posa le regard sur la bouteille de brandy qu'il gardait dans son bureau.
Ça allait être une longue journée.
Je reconnais que Célestia est assez OOC dans ce chapitre, mais ça m'a quand même bien fait marrer.