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Chapitre 1

La caresse d’un sabot sur ma joue, un air de berceuse fredonné, un baiser sur mon front, "Winter" murmuré d’une voix douce… 

Voici les seuls souvenirs que j’ai de mes parents. De vagues sensations, que je chéris malgré tout de toute mon âme et que je me force à me rappeler tous les jours, afin de ne pas oublier...

"WINTER ! Peux-tu me répéter ce que je viens de dire ?" lança une voix sévère.

Sursautant sur ma chaise pendant que des ricanements s'élèvent dans la salle, je bredouillais vaguement une réponse à  l’attention du Meister.

Sous son chapeau bleu brodé d’étoiles turquoise, le regard bleu perçant du licorne était désapprobateur. Il se leva du bureau qu’il occupait, ajustant au passage sa cape bleue brodée de constellations sur son corps couleur crème et se dirigea vers moi.

Je me fis tout petit sur ma chaise, mes yeux incapables de se détourner du Meister avançant lentement vers moi.

Le silence se fit dans la salle au moment où le licorne s'arrêta devant moi. Il baissa les yeux sur le livre ouvert sur mon bureau et fronça ses sourcils bruns broussailleux.

"Winter, nous en sommes à la page quinze, ton livre est ouvert à la page trois. Il semblerait que tu n’aies pas suivi du tout le cours", me lança-t-il d’un ton calme mais néanmoins sévère. "Tu resteras donc après la classe tout à l’heure, pour rattraper ton retard."

Honteux, je baissais la tête, mes crins blancs passant devant mes yeux perlés de larmes.

Le reste de l’après-midi passa en un éclair, rythmée par les leçons, jusqu’à ce qu’enfin Meister Maelström décide que la classe était terminée, approuvé par les exclamations joyeuses de dizaines de poulains et pouliches d’âges divers.

Je soupirais tristement, encore une fois j’allais rester après la classe. Même si ça ne changeait pas grand-chose à ma popularité chez les autres enfants, rester plus longtemps après les cours était fastidieux, et rêvasser était impossible.

Une patte aux fanons blancs impeccables posa une pile de papier sur mon bureau, avant d’aller lisser la barbe brune bien fournie du Meister. 

Il soupira, avant de déclarer "Winter, il faut que tu arrêtes d’avoir la tête dans les nuages durant la classe. Tu pourrais être dehors avec les autres, à t’amuser, au lieu de devoir rattraper les leçons tous les jours"

Je baissai la tête.

"Pour ce que ça change, de toute manière. Personne ne veut jouer avec moi, je suis toujours tout seul", murmurai-je à moi-même.

Je reniflai, et sans un mot supplémentaire, commençai à recopier les leçons. Je pris la plume directement avec ma bouche, sans même essayer de la manipuler avec ma magie.

L’expression du Meister devint peinée, il demanda d’une voix douce : "Tu ne peux toujours pas utiliser ta magie ?"

Je haussai les épaules, continuant d’écrire sans répondre, la bouche occupée à tenir ma plume. Du haut de mes huit ans, ma corne était toujours aussi utile qu’un bout de bois flotté.

Sans mot dire, le licorne retourna à son bureau pour griffonner des notes sur un parchemin, sans doute occupé à préparer la leçon du lendemain.

Les rires et cris de joie des autres poulains à l’extérieur se firent plus rares à mesure que le temps passait et que la journée touchait à sa fin.

Des sons de cloches s’élevèrent soudain, indiquant que les bateaux de collecte d'algues étaient rentrés au port pour la nuit.

"Tu peux t’arrêter là pour ce soir, Winter. La nuit va bientôt tomber, rentre chez toi. Et pratique bien les exercices que je t’ai donnés pour ta magie."

Le Meister me fit un sourire avant d’ajouter : "Je suis certain que ce n’est qu’une question de temps avant que tu puisses l’utiliser comme moi ou Red Bolt".

Je hochai la tête en me levant, sans répondre. La tête basse, je pris mon manteau à la patère à côté de la porte et le découvris humide, sans doute une "blague" douteuse. Soupirant, je l’essorai du mieux possible avant de le mettre, un manteau mouillé valait mieux que pas de manteau du tout, vu le froid perpétuel qui régnait à l’extérieur.

Le vent mordant faisait claquer mon manteau, l’humidité du tissu réduisant sérieusement sa capacité à me tenir au chaud. Plus aucun poulain n’était présent à l’extérieur apparemment, je me hâtai vers ma maison pour pouvoir me réchauffer convenablement et mettre mon manteau à sécher.

Après quelques minutes de trot, alors que ma maison était enfin en vue, des voix narquoises s’élevèrent.

"Hey Winter ! Alors, le délavé, tu te crois plus intelligent que nous au point de pouvoir te permettre de pas écouter en cours ?" 

Le leader était un pégase un peu plus âgé que moi, aux crins bleus striés d’argent, le pelage turquoise et une cutie mark représentant un nuage poussé par le vent.

Je m’efforçai de prendre un air calme avant de répondre.

"Bonsoir, Ocean Breeze, frisquet ce soir hein ? Pas un temps à rester dehors ça c’est sûr."

Le pégase me fit un sourire mauvais avant de répondre: "Ouais, surtout avec ton manteau trempé, tu dois bien te geler, fragile !"

Et le mystère du manteau détrempé était résolu. Je n’étais pas surpris, ce n’était pas la première "blague" que me faisait Ocean Breeze et ça ne serait pas la dernière.

Des chuchotements suivis de ricanements s’élevèrent du groupe de poulains. 

Le sourire d’Ocean Breeze se fit cruel, une lueur de malice malsaine dans ses yeux gris avant qu’il déclare "Au fait, tu as reçu ton quota de nourriture pour la semaine devant ta porte, on s’en est bien occupé, tu verras !"

Sur ces mots, lui et son groupe d’amis se dispersèrent en ricanant. Le cœur serré, je me dirigeai vers ma maison.

La neige devant la maison était piétinée, des débris d’algues et de champignons séchés écrasés dans la boue. Les larmes me vinrent aux yeux.

J’allais encore devoir aller ramasser des champignons sauvages dans les bois demain pour manger. Sanglotant sans un bruit, je repoussai les cubes sur le côté pour libérer l’accès à ma porte avant de la déverrouiller.

Je rentrai à l’intérieur de ma petite maison, à peine assez grande pour contenir mon lit, une petite étagère, une table et un âtre pour réchauffer la pièce et faire la cuisine. 

Après avoir refermé la porte, je me débarrassai de mon manteau, que j’étendis sur le fil au-dessus du foyer.

Après avoir mis quelques bûches dans la cheminée et allumé le feu avec mon briquet d’amadou, je tentai de pratiquer les exercices que m’avait donnés le Meister pour me permettre d’activer ma magie.

Après une heure d’effort et de tentatives de lévitation de divers objets, j’abandonnai, un mal de tête me battant les tempes.

Je me fis à manger avec les restes d'algues et de champignons qui restaient de la semaine passée.

Au moment de sortir du feu la marmite contenant ma soupe, je perdis l’équilibre et le pot tomba dans le foyer.

Instinctivement, je tentai de rattraper la marmite, mais trop tard, mon sabot rata l’anse. Un frisson me parcourut, une sensation de picotement envahit ma corne et un voile de magie rougeâtre entoura la marmite, qui resta suspendue au-dessus du feu.

Je me remis à pleurer, de joie cette fois. Enfin, je sentais ma magie, je pouvais l’utiliser ! Précautionneusement, je posais la marmite sur le rebord de la table.

Tentant une nouvelle fois les exercices donnés par Meister Maelström, je tendis ma concentration vers le morceau de métal poli qui me servait de miroir. Une nouvelle fois, un voile rougeâtre entoura le miroir, un effort mental et le miroir flotta lentement vers moi avec quelques saccades.

Mon visage s’encadra dans l’ovale du miroir, montrant un pelage et des crins aussi blancs que la neige fraîchement tombée, avec des yeux d’un rouge rubis qui m’ont valu mon nom : Winter Ruby.

Un sourire éclata sur mon visage alors que je rangeais le miroir avec ma télékinésie et commençai à manger. 

J’avais hâte d’être au lendemain pour montrer au Meister ce que j’étais capable de faire !

Malgré les crasses des autres poulains, je m’endormis ce soir-là avec un sourire.

Mon estomac grondant et douloureux me réveilla brutalement le lendemain. Grimaçant et à moitié ensommeillé, un coup d'œil à la fenêtre m’indiqua que le jour était à peine levé. 

Mes réserves d’algues et de champignons étaient vides. Les oreilles baissées sur le crâne, je diluai à l’eau le reste de soupe de la veille, il en restait à peine assez pour appeler ça une tisane mais ça devrait suffire bien.

Je me forçai à avaler la soupe diluée et réchauffée, le peu de goût de la mixture me donnant l’impression de boire de l’eau chaude.

Après m’être préparé, mon estomac protestant toujours contre le manque de nourriture, je sortis dans le froid pour aller chercher des champignons dans la forêt. La classe ne commençant que dans l’après-midi, j’avais largement le temps de dégoter de quoi refaire quelques maigres réserves.

La neige crissa sous mes sabots tandis que je pris la direction de la forêt.

"Winter ! Hey Winter, attends !" lança une voix juvénile au loin derrière moi.

Je me figeai un court instant, tandis qu’un froid me saisit, causé par la peur plus que par la bise venant de la mer ce matin-là.

Je repris ma marche, faisant comme si je n’avais rien entendu, accélérant l’allure au point d’arriver presque au trot, terrifié d’être encore une cible à humilier.

"HEY ! ATTENDS ! Ne t’en va pas !" dit une autre voix. 

J’ignorai la voix et me mis à courir, laissant tomber la sacoche qui devait me servir à ramasser des champignons pour fuir.

Soudain, le crissement de la neige sous mes sabots cessa. Mes pattes continuaient à s’agiter pour tenter de fuir, mais je n’avançai plus, flottant quelques centimètres au-dessus du sol et enveloppé dans un voile magique de couleur rouge sombre striée de blanc.

Les voix derrière moi s'approchèrent, le son de leur sabot rythmant les battements de mon cœur et mes tremblements.

"A-rre-te-de-bou-ger !"

Loin de me calmer, ces mots me terrifièrent encore plus et je tentai encore plus vivement de m’enfuir.

Un poulain terrestre de quelques années de plus que moi, à la robe vert pomme et aux crins marrons rassemblés en natte épaisse, apparut dans mon champ de vision.

Je me figeai et commençai à me recroqueviller, attendant les coups ou les humiliations.

Au lieu de ça, la magie qui m’enveloppait me posa délicatement par terre et le terrestre m’aida à me relever.

"Mais ça va pas la tête de courir comme ça ? On aurai cru que les Windigos étaient à tes trousses !" me tança le terrestre, un air colérique sur le visage.

"Steel, arrête, tu vois bien qu’il est terrifié ! Vu comme Ocean Breeze et les autres agissent envers lui depuis des années, je peux le comprendre", répliqua une voix derrière moi.

"SALUT, je m’appelle Lollipop ! T’es un licorne, c’est trop cool, tu fais de la magie comme Red Bolt ? Moi je peux pas faire de magie, mais je peux voler !"  le coupa une voix surexcitée.

Sa propriétaire, arborant un grand sourire, apparut en même temps dans mon champ de vision, une petite pégase plus jeune que moi, au pelage mauve et aux crins d’un rose flamboyant. 

D’instinct, je fis un bond en arrière, peu habitué à ce que d’autres poneys soient amicaux envers moi. Ce faisant, je finis assis par terre dans la neige glaciale.

Un licorne entièrement rouge, les crins striées de blanc, me fit un sourire rassurant, tout en écartant gentiment Lollipop. 

Je le connaissais, au moins de nom : Red Bolt, le seul autre licorne du village en dehors du Meister et de moi-même.

Hésitant, je me relevai lentement. Le terrestre (Steel ?) s’assit, croisant les pattes antérieures sur sa poitrine d’un air revêche.

La petite pégase pétillante disparut un court instant et réapparut en me tendant la sacoche que j’avais fait tomber plus tôt.

"Tiens, c’est à toi ! Tu l’a fait tomber tout à l’heure, tu ferai bien de mieux l’attacher !" me lança-t-elle d’un air enjoué.

Lentement, je pris la sacoche et la rangeai sur moi, mes yeux passant de l’un à l’autre des trois poneys devant moi.

Red Bolt me tendit un sac de jute en souriant.

"On a vu que tes rations avaient été éparpillées et piétinées par terre devant chez toi hier soir. C’est pas grand-chose, mais chacun de nous a donné une journée de ration. Prends, c’est pour toi" me fit-il en secouant légèrement le sac devant moi.

Personne n’avait jamais été aussi gentil avec moi dans le village, à part le Meister.

Les adultes me regardaient de travers en murmurant "maudit par l’hiver" à mon passage, les poulains et pouliches ricanaient et se moquaient de moi. 

Incapable de me retenir, je me mis à sangloter devant tant de gentillesse. 

La mine du terrestre se décomposa, il se releva et avança vers moi. Au moment où il leva son sabot, j’eus un mouvement de recul involontaire et me tassai sur moi-même.

Plus lentement, il abaissa son sabot et me tapota l’épaule.

"Pleure pas p’tit, ça va aller. T'inquiètes pas, ça va aller", me dit-il d’une voix douce tout en continuant à me tapoter doucement l’épaule.

Red Bolt dansait d’une patte sur l’autre, incertain de la marche à suivre, tout comme la petite Lollipop.

Au bout de quelques minutes, mes sanglots se calmèrent, et je me détendis un peu.

Je séchai mes larmes avec le coin de mon manteau, tout en reniflant. Le visage du terrestre s’illumina d’un sourire, et il me donna une dernière tape chaleureuse dans le dos.

"Là, c’est mieux ! Désolé si on t’a fait peur tout à l’heure, c’était pas voulu. Les autres t’en ont fait baver hein ?" me dit-il d’un air navré.

Il se redressa sur ses pattes arrières et se mit à boxer l’air de ses pattes avant tout en me déclarant : "Si jamais ce petit con d’Ocean Breeze revient t’emmerder, tu viens me voir. Je lui botterai le cul jusqu’au prochain été, foi de Steel Façade !"

Je lâchai un petit rire, incapable de me retenir en le voyant gesticuler comme s’il combattait un ennemi imaginaire. 

La petite pégase mauve se mit à sourire en m’entendant rire.

"Ha bah voilà ! Faut arrêter de faire du boudin, c’est mieux quand tu souris quand même !" déclara-t-elle fièrement.

Red Bolt se contenta de hocher la tête en souriant lui aussi.

Steel Façade se laissa retomber sur ses quatre pattes et s’approcha d’un coup de moi, passant une patte autour de mes épaules avant de me lancer d’un air conspirateur : "Bon, sinon, où t’allais comme ça de si bon matin ? Le soleil est juste levé, même les bateliers sont pas encore partis à la récolte de varechs".

Je bredouillai, expliquant que je comptai ramasser des champignons dans la forêt au pied des montagnes entourant le village.

Tous les trois décidèrent de m’accompagner et à quatre, la récolte de champignons frais fut suffisamment fructueuse pour changer un peu l’ordinaire pour quelques jours.

Durant le ramassage, j’appris qu’ils étaient tous les trois orphelins, comme moi. Leurs parents respectifs formaient un petit groupe d’amis servant sur le bateau de récolte qui avait fait naufrage l’année précédente.

Steel était le plus âgé, du haut de ses dix ans il avait pris les devants et obtenu que Lollipop et Red Bolt soient logés chez lui, au lieu de rester seuls chez eux ou d’être confiés à quelqu’un d’autre.

"Je pouvais pas les laisser nous séparer", déclara Steel en souriant doucement et en ébouriffant la crinière de Lollipop.

"Nos parents se connaissaient et je les vois comme mon p’tit frère et ma p’tite soeur, j’allais pas les laisser nous séparer !" répéta-t-il d’un air résolu.

Le soleil était à présent haut dans le ciel, et en sortant de la forêt, je pus voir les bateaux de récolte d'algues dans la baie, à pied d'œuvre pour ramasser le varech.

Une fois arrivés chez moi, je les invitais à entrer. C’était la première fois que quelqu’un venait chez moi en dehors du Meister.

L’espace minuscule de ma maison sembla soudain encore plus étroit. Avec quatre poneys, la place était limitée, Steel Façade et Red Bolt serrés entre la table et l’âtre, Lollipop et moi assis sur le lit.

Steel promena le regard autour de lui, un air penseur sur le visage, pendant que Lollipop, Red Bolt et moi discutions.

Mon cœur faisait des bonds de joie dans ma poitrine, je tentais de maîtriser mon sourire mais rien à faire, il était aussi large que possible physiquement.

"Tu sais, tu pourrais venir t’installer avec nous. La maison est assez grande pour ça, t’aurais plus à être tout seul et puis on est juste à côté, donc ça te changerait pas trop de d’habitude".

Steel Façade me regardait droit dans les yeux, jaugeant ma réaction et attendant ma réponse à sa proposition.

"OH OUI ! Viens vivre avec nous Winter ! Tu seras mon troisième grand frère ! Alleeeeez !"

Je souris à Lollipop avant de reporter mon regard sur Steel.

"Je-Merci, mais je préfèrerais rester dans ma maison. J’me débrouille et puis c’est chez moi. J’ai jamais vécu ailleurs".

Red hocha la tête, avant de répondre "Je comprends. C’est vrai que c’est pas facile le changement. Au pire, on est voisins, c’est comme ça qu’on a vu tes rations piétinées hier soir, donc si t’as besoin on est là !".

Lollipop m’attrapa la patte, un air suppliant sur le visage.

"Tu viendras nous rendre visite steuplait ? OH et puis dormir à la maison, on fera une nuit blanche un jour !".

L’étau de ses pattes ne se desserra qu’après que j’eus promis de les voir aussi souvent que possible, le tout sous les ricanements taquins de Steel et Red.

"OUAIS ! UN NOUVEAU GRAND FRÈRE !" s’écria Lollipop en sautant les airs, les ailes déployées.

 

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