Chapitre 3
Guillaume Premier se frotta les mains l'une contre l'autre avec énergie, puis les claqua joyeusement et bondit dans son fauteuil. Il pianota sur son bureau tout en adressant un sourire au duo médusé assis en face de lui. Ils étaient toujours sous le choc de ce qui venait de se passer.
– Vous voulez quelque chose ? demanda le Hollandais avec une sollicitude feinte. Une collation, un oreiller, de l'eau ? Je suis sûr que ma secrétaire sera ravie de vous en apporter.
La princesse Célestia et Oda Nobunaga firent non de la tête à l'unisson, toujours incapables de parler.
– Honnêtement, c'est vraiment grâce à elle que tout roule, ici. Remplir la paperasse, prendre les messages, m'apporter mon déjeuner… Vraiment, ça aide.
Il se pencha en arrière dans son fauteuil.
– Vous savez, je me dis que je devrais peut-être redécorer ce bureau. Quelque chose de plus lumineux, de plus accueillant. Toutes ces fenêtres, c'est sympa, mais ça manque de couleurs. Ajouter un ou deux tapis, ou alors quelques portraits en plus. Une touche de rose, aussi, pourquoi pas. Oui, du rose, ça irait bien. Qu'est-ce que vous en dites ?
Célestia soupira.
– Guillaume, s'il vous plaît, nous avons compris. Vous avez raison et nous avions tort. Voilà, vous êtes satisfait ?
Guillaume se pencha en avant et croisa les mains au-dessus de son bureau.
– Si par là vous voulez dire que vous êtes vraiment prêts à vous mettre au travail, alors oui, je suis satisfait.
Oda bondit de son siège et prit une pose héroïque.
– Alors, que devons-nous faire pour empêcher ce désastre, sage Guillaume d'Orange ?
Guillaume haussa les épaules.
– Je ne sais pas, dites-le moi.
Oda se dégonfla si vite qu'on pouvait presque entendre l'air sortir en sifflant de son armure. Il se rassit.
– M-mais vous avez dit que vous–
– Je n'ai jamais dit que je ferai quoi que ce soit pour empêcher cette guerre. Je pourrais, mais je veux d'abord entendre ce que vous deux, vous feriez, puisque tout ça est de votre faute que ça ne devrait même pas me concerner, dit-il avec un sourire sadique, chaque mot dégoulinant de cruauté.
– Guillaume, arrêtez ça, répondit Célestia. Nous sommes prêts à nous mettre au travail.
Guillaume tapa des mains.
– Merveilleux ! Alors retroussons-nous les manches, d'accord ?
Il appuya sur plusieurs boutons sous son bureau. L'écran sur lequel étaient apparus Luna et Gustave se ralluma et la carte du monde s'afficha à nouveau. Elle était toujours divisée en deux, chaque pays apparaissant en bleu ou en rouge en fonction de s'il était allié au Japon ou à Equestria. Les Pays-Bas étaient le seul encore neutre. Le flèches noires qui indiquaient les mouvements de troupes convergeaient vers les frontières. La guerre était imminente.
Guillaume bondit hors de son fauteuil, désigna l'écran de la main et commença son exposé.
– Comme nous le savons grâce aux informations fournies par la sœur d'une personne proche du dossier, nous avons douze heures avant que les forces conjointes de la Suède et de la Nouvelle République Lunarienne n'attaquent la France. D'autres conflits régionaux sont sûrement aussi sur le point d'éclater, mais celui-ci est le plus imminent.
Il appuya sur d'autres boutons et une image en trois dimensions d'un carrosse de diplomate s'afficha sur l'écran. Il était orné de drapeaux et de dorures et les armoiries des Pays-Bas étaient peintes sur les côtés.
– Pour gagner un peu de temps, j'ai arrangé ceci. Béatrice, pouvez-vous faire partir les carrosses ? dit-il dans l'intercom de son bureau. Merci.
Il coupa la communication avant même de recevoir une réponse. Les deux autres levèrent les sourcils.
– Que venez-vous de faire ? demanda la princesse.
– Oh, juste une toute petite chose, répondit-il joyeusement, un sourire espiègle aux lèvres. Une sorte de contre-mesure.
– De quel genre ?
Il claqua sa main contre le bureau.
– Une diversion, voilà de quel genre ! Une petite ruse qui sèmera la confusion. Et elle ne va pas seulement nous faire gagner du temps ; il se peut aussi qu'elle règle tout le problème à elle seule !
Les yeux de Célestia s'illuminèrent.
– Vraiment ?
– Non, ça c'était une blague.
Il pressa d'autres boutons sous son bureau. Sur la carte, deux flèches vertes apparurent. Elles partaient toutes les deux d'Amsterdam mais s'écartaient dans des directions différentes.
– Ooooooh, maintenant je comprends ! dit Oda en se penchant en arrière dans son fauteuil. Une diversion !
Guillaume claqua des doigts.
– Exactement ! En voyant des émissaires traverser leurs territoires, chacun des deux camps hésitera à démarrer les hostilités. À proximité d'un diplomate, ce serait trop dangereux, surtout celui d'un pays neutre. Mais le plus important, c'est la destination de ces émissaires. L'un se rend à Kyoto, l'autre à Canterlot, pour faire croire que je souhaite m'entretenir directement avec chacun de vous deux, dit-il en les désignant du doigt. Espérons que cela nous laissera assez de temps pour trouver autre chose.
Célestia était abasourdie.
– Guillaume, c'est stupéfiant ! Comment avez-vous eu cette idée ?
Guillaume baissa le regard vers ses habits et se mit à tranquillement retirer les peluches de ses robes de soie.
– Oh, c'était prévu depuis longtemps. Depuis que l'Amérique et l'Égypte ont choisi leur camp. J'ai imaginé des plans pour différents cas de figure.
– Alors, quelle est la deuxième étape ? demanda Oda et sautant de sa chaise.
Guillaume se massa le front. Avec un profond soupir, il se laissa retomber dans son fauteuil.
– C'est là que ça devient un peu… compliqué. Il y a plusieurs approches possibles, mais je ne suis pas sûr à cent pour cents que chacune fonctionnera, même en planifiant tout comme il faut.
– Et bien, nous vous écoutons quand même, dit Célestia avec un sourire rassurant. Je suis sûre que nous trouverons quelque chose à temps.
– Très bien, répondit Guillaume en haussant les épaules.
Il ouvrit un des tiroirs de son bureau. Après avoir fouillé un peu, il en sortit trois enveloppes. Il les disposa devant lui à égale distance les unes des autres, sortit un feutre et les numérota de un à trois. Il croisa ensuite lentement les mains.
– Bienvenue dans mon bureau, annonça-t-il d'une voix dramatique. Devant vous s'ouvrent trois chemins. Chacun suit un scénario différent pour nous sortir de ce désastre. Une fois votre chemin choisi, vous ne pouvez plus en changer, et il affectera votre destin pour toujours. J'espère que vous choisirez judicieusement, ajouta-t-il avec un sourire sinistre.
– Mais qu'est-ce que vous faites ? demanda abruptement Célestia.
Guillaume arrêta aussitôt son numéro.
– Désolé, désolé, je me suis un peu laissé emporter. Mais c'est vrai, j'ai réellement imaginé trois plans différents, qui pourraient nous permettre à nous de sortir gagnants de cette guerre. Mais ils sont tous assez risqués, c'est pourquoi j'ai besoin de votre entière collaboration. Vous comprenez ?
– Attendez une seconde, l'interrompit Oda. Je pensais que vous vouliez empêcher la guerre, pas en tirer bénéfice.
Célestia fixa Guillaume, dans l'attente d'explications. Elle pensait exactement la même chose. Le stathouder se caressa nerveusement la barbe.
– Et bien, au point où nous en sommes… Avec les moyens dont nous disposons, il me semble très improbable de pouvoir réellement empêcher la guerre. Je veux dire… oui la paix, c'est bien, mais… je ne suis pas sûr que nous y arrivions.
Célestia hocha la tête.
– Je comprends, Guillaume. Parfois, même la meilleure volonté du monde ne suffit pas. Même si nous souhaitons éviter la guerre, je reconnais que nous avons atteint un point de non-retour. Vous pouvez compter sur mon entière collaboration.
Guillaume hocha gravement du chef, puis se tourna vers Oda, qui venait de lever la main.
– Trois options, est-ce vraiment assez ? Je suis sûr qu'il y a beaucoup d'autres manières de résoudre ça. Par exemple, si nous voulons–
Guillaume tapa du poing sur son bureau.
– C'est tout ce que j'ai trouvé, d'accord ?! Essayez un peu de trouver un assortiment de doctrines cohérent, vous, pour voir ! Je vous souhaite bien du plaisir ! (*)
Oda rabaissa piteusement le bras.
– Comme je le disais, soupira Guillaume, j'ai besoin de votre entière collaboration. Maintenant, laissez-moi vous expliquer… Numéro un !
Il prit l'enveloppe marquée du chiffre un, l'ouvrit et en sortit une longue feuille de papier jaune couverte d'une écriture large et arrondie.
– Le plan numéro un est ce qu'on pourrait appeler l'option diplomatique… enfin, en quelque sorte. Il consiste à nous servir de toute l'influence politique dont nous disposons auprès des autres nations pour les convaincre que vous ne voulez plus vous battre, et ainsi rendre la guerre sans objet. Une déclaration de paix à l'échelle mondiale, si vous préférez.
– Mais se raviseront-ils vraiment, au point où nous en sommes ? demanda Célestia. Je veux dire, je doute qu'aucun poney – désolée, aucun dirigeant – fasse réellement marche arrière, maintenant que la guerre est aussi proche. Vous l'avez dit vous-même, ils se servent de ce conflit comme prétexte pour régler leurs propres affaires.
– C'est de la folie ! s'écria Oda. Aucune nation ne déposera les armes juste parce que nous le demandons ! Espérer qu'ils le fassent serait idiot de notre part.
– Pas tout à fait, corrigea William. Il y a encore de nombreuses nations qui vous écoutent avec attention. Elles ne vous suivront pas toutes, naturellement, mais cela fera déjà quelques belligérants de moins.
Célestia fronça tristement les sourcils.
– Seules les plus faibles le feront ; celles qui sont sûres de subir le plus de dommages si elles se battent. Et elles n'accepteront la paix qu'avec l'assurance que nous les protégerons des agressions extérieures. Cela ne réduit en rien le danger que représentent les nations plus puissantes.
– Alors c'est décidé ? demanda Guillaume. L'option numéro un est écartée ?
Les deux autres firent oui de la tête. Guillaume froissa la feuille pour en faire une boule et la jeta par la fenêtre. Il ouvrit ensuite la deuxième enveloppe.
– Celle-ci, mes amis, est un peu plus facile à mettre en œuvre, mais pas forcément plus sûre.
– Comment cela ? demanda la princesse.
– Pour résumé, c'est l'option de l'inaction. Le plan consiste à… ne rien faire. Nous déclarons tous les trois notre neutralité et nous voyons comment ça se passe. Les autres pourraient nous ignorer, nous attaquer quand même, ou nous détester jusqu'à la fin des temps, je ne sais pas. Mais ne rien faire pourrait suffire à ce que nous ne soyons pas impliqués.
– Hors de question, s'écria le daimyo. L'inaction est toujours le pire des choix, dans tous les cas. Il y a forcément quelque chose que nous pouvons faire !
– Je suis d'accord, dit la princesse. Cette option est inenvisageable.
– Très bien, répondit Guillaume en mettant le feu à la feuille avec un briquet. Il ne nous reste donc que la dernière option, la numéro trois.
Il ouvrit lentement l'enveloppe et, avec délicatesse, sortit le document qui s'y trouvait. Un frisson d'excitation s'empara de lui quand il sentit le papier sous ses doigts.
Il expliqua le plan dans les moindres détails, un sourire de plus en plus réjoui aux lèvres à mesure que Célestia et Oda écarquillaient les yeux. Il gloussa de rire, ravi de leur montrer la vraie supériorité de son intelligence, soigneusement étalée avec une encre très chère. Quand il eut fini son exposé, il inspira un grand coup.
– Alors ? demanda-t-il avec une pointe d'arrogance. Vous en pensez quoi ?
– C'est le meilleur plan qu'on puisse imaginer, dit Oda, abasourdi, les yeux écarquillés comme s'il sortait d'une soufflerie.
– C'est très osé, Guillaume, mais dans une situation pareille, je crois que nous n'avons pas le choix, dit Célestia, aussi estomaquée que l'autre, la crinière décolorée par la surprise.
– Je suis d'accord, renchérit Oda. C'est la seule chose sensée à faire. Je vote oui.
– Moi de même, annonça Célestia.
Guillaume rayonnait de bonheur. Il leur avait fallu du temps, mais ils y étaient arrivés. Après une éternité à discuter, se bagarrer et crier, une solution à la guerre avait enfin été trouvée. Il n'en pouvait plus d'attendre. Il frotta ses mains l'une contre l'autre, surexcité.
– Très bien, les gars, alors… C'est parti !
Il appuya sur son intercom.
– Béatrice, demanda-t-il calmement, pouvez-vous contacter les autres dirigeants ? Oui, aussi vite que possible, et rallumez ma caméra, s'il vous plaît. Je veux qu'ils me voient quand je parlerai.
– Oui, monsieur, tout de–
Guillaume raccrocha avant qu'elle puisse finir. Il se tourna vers Célestia et Oda, un sourire d'impatience aux lèvres.
– Ça va être génial !
Quel plan extraordinaire l'astucieux Guillaume a-t-il concocté ? Mystère !
(*) Ceux qui ont joué à Civilization VI comprendront...