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Chapitre 3

Le bruit de ma clepsydre me réveilla en sursaut. Le Meister l’avait conçu d’après les informations de livres anciens dans sa bibliothèque.

Grommelant, je me levai en tâtonnant. J’étais rentré plus tard que d’habitude la veille, occupé à m’entraîner à la maîtrise du bâton et à la pratique de mes sorts.

Baillant largement, je jetai un coup d'œil vers mon miroir pendant que je me faisais une soupe d’algues et champignons séchés.

Il était difficile de croire que presque cinq ans s'étaient écoulés depuis la levée du sort de limitation de ma magie. Même en ayant fêté mes vingt ans quelques mois auparavant, mon visage était toujours le même qu’à l’époque.

Les seuls changements notables étaient ma coupe de crins (et ma taille évidemment).

Après quelques accidents lors de pratiques de sorts, j’avais pris la décision de couper mes crins plus courts, pour éviter de les roussir lorsque que je lançais un cône de flamme.

Je souris, ma réflection me renvoyant un sourire espiègle en retour. Le Meister m’avait plusieurs fois demandé d’arrêter de lancer des sorts d’explosions et de cônes incendiaires, mais c’était mon talent.

J’étais arrivé à le persuader de me laisser continuer, à la condition de le faire suffisamment loin du village pour qu’il n’y ait aucune chance que je puisse blesser qui que ce soit.

Autant dire que la forêt à l’ouest du village contenait une clairière qui n’avait cessé de s’élargir au fil du temps et de ma maîtrise de la magie !

Je finis d’engloutir mon petit déjeuner avec une grimace. Je n’avais pas pensé à aller ramasser des champignons frais depuis quelques jours et je commençais à en avoir assez de la bouillie d’algues et de champignons séchés.

Je me nettoyais rapidement le museau et j’attrapai mon manteau avant de sortir.

L’air glacial de la matinée transformait mon souffle en brume épaisse, le vent soufflant de la mer peinant à la disperser.

Resserrant mon manteau sur moi, je me ressaisis et commençais mon premier travail de la journée : éteindre les torches qui éclairaient les rues du village.

Je ne connaissais pas la recette du combustible employé pour les torches, à part que le Meister l’avait conçu, et qu’il suffisait d’appliquer un sort de flamme pour que la torche flamboie toute la nuit.

Techniquement, elles auraient pu brûler plus longtemps, mais pour éviter de remplacer les torches trop souvent, Red Bolt et moi étions chargés de les éteindre au petit matin et de les allumer une fois la nuit tombée.

Machinalement, je répétais le même procédé : aller jusqu’à une torche, l’éteindre, vérifier qu’elle ne se rallume pas, passer à la suivante.

Je soupirai. Arrivé vers la fin de mon secteur, je remarquai que Red Bolt avait déjà terminé le sien. Je hâtai la cadence pour ne pas être en retard et recevoir un sermon du Meister sur la ponctualité.

Éteignant la dernière torche, j’entendis le grincement étouffé d’un volet qu’on entrouvre. Levant les yeux, je remarquai que Green Sprout m’espionnait à travers l’ouverture. 

Secouant la tête, je pris le parti de ne rien dire et trottai vers la maison du Meister, perchée sur la colline surplombant le village.

Red Bolt était déjà devant et me fit un grand signe de sabot avant de parler

“Hey Winter! Salut, bien dormi?”

“On va dire ça, le réveil a été rude ce matin, mais au moins je ne suis pas en retard, c’est déjà ça” dis-je en souriant largement.

Red Bolt me dépassait en taille, la pointe de ma corne à peine plus haute que le sommet de sa tête.

Il me fit un clin d'œil en répondant : “En même temps, si tu arrêtais d’aller incendier la forêt une bonne partie de la nuit, tu pourrais dormir plus longtemps.”

Je ne pus m’empêcher de rire.

La porte du Meister s’ouvrit brusquement. Il sortit à moitié de la maison en nous saluant d’un signe de tête et examina le village en contrebas.

Sa barbe autrefois d’un brun uniforme comportait à présent des bandes blanches, qui ne faisaient qu’accentuer l’impression de sagesse qui émanait du Meister.

“Excellent travail, Red, Winter. Et pile à l’heure aujourd’hui, ce que je ne peux que féliciter également!”

Inconsciemment, je me mis à examiner attentivement le sol enneigé, sachant fort bien que la dernière phrase me concernait directement.

Se raclant légèrement la gorge, Meister Maelström nous invita à rentrer.

La grande maison ne servait plus de salle de classe, les poulains étant tous devenus assez grands pour travailler depuis plusieurs années.

A la place des chaises et bancs qui occupaient l’ancienne salle de classe, trois bureaux, assortis de deux étagères et d’un lutrin chacun, remplissaient l’espace.

Je m’installai à mon bureau et fis léviter le livre que je devais copier vers le lutrin, tout en attrapant un tome vierge.

Le travail de copie était fastidieux, l’écriture devait être suffisamment belle et lisible pour permettre à d’autres poneys de relire l’ouvrage terminé, tout en évitant de faire des fautes d’orthographe ou des oublis de paragraphes.

Je soupirai intérieurement. Encore une fois, j’avais un livre sur l’étiquette à recopier. Même après cinq longues années, je n’arrivai toujours pas à comprendre la fascination des poneys d’avant le cataclysme pour les rituels de bienséance compliqués, les repas à plusieurs fourchettes et les révérences.

Meister Maelström m’avait simplement répondu que de telles ouvrages étaient "importants pour la postérité.” quand je lui avais demandé pourquoi on les recopiait.

Finalement, l’heure du repas arriva peu de temps après que j’eus fini de copier mon premier livre.

Je suivis Red Bolt chez lui. 

Depuis que nous travaillions chez le Meister, j’avais pris l’habitude de manger avec Red, Steel et Lollipop tous les midis.

Lollipop était déjà à pied d'œuvre pour mettre la table. 

Travaillant à la champignonnière depuis qu’elle avait eu sa cutiemark, elle était toujours la première arrivée, bien qu’elle finisse plus tard que Red et moi. 

Avant même que je puisse ouvrir la bouche pour dire bonjour, Lollipop fut sur moi et me fit un câlin. Riant aux éclats, elle repartit aussi vite qu’elle était arrivée. 

Plus que jamais, je me fis la réflexion que sa cutiemark était le reflet de sa personnalité. Les livres du Meister décrivait le colibri comme un oiseau espiègle, joyeux et incapable de rester en place, et cette description collait totalement à Lollipop.

Quelques instants plus tard, pendant que nous finissions tous les trois de préparer le repas, Steel arriva.

Se débarrassant de son tablier de menuisier à l’entrée, il me fit une bourrade amicale en guise de bonjour.

“Alors, quoi de neuf aujourd’hui? Encore de la copie de livres anciens?” lança Steel, s’adressant autant à moi qu’à Red Bolt

Je soupirai sans répondre. Red Bolt me jeta un regard en coin en finissant de mettre la table.

“Eh bah, à la tête de Winter, je crois que je sais quel type de livre il a dû copier. Encore un traité sur comment se comporter en société?” demanda Steel en souriant.

Je grognai d'exaspération, avant de répondre : “Oui, ENCORE! A croire que l’ancien temps passait son temps à penser à comment manger sa soupe ou utiliser ses fourchettes.”

Red Bolt lâcha un petit rire puis renchérit: “C’est vrai qu’à voir ce que le Meister nous donne à copier dernièrement, on a l’impression que les poneys d’autrefois ne pensaient qu’à comment bien présenter face à la haute société.”

“Bon allez les frangins, c’est l’heure de manger!” intervint Lollipop.

“Je me suis arrangé pour ramener des champignons frais, autant les manger tant que c’est chaud!” ajouta-t-elle.

 

*****

 

Me réinstallant à mon bureau après le repas, je pris machinalement le prochain livre de ma pile, le posait sur le lutrin sans même lire le titre.

Ce n’est qu’une fois le livre ouvert que je me pris connaissance de son thème :

“Graceful Arrow: Rétrospective de la vie d’un héros”.

L’ouvrage racontait les aventures de Graceful Arrow, simple licorne qui avait monté les échelons de la haute société d’antan grâce à ses exploits épiques.

Tandis que je le copiais sur un tome neuf, je me pris à rêver tout éveillé de traverser les montagnes entourant le village et de m’aventurer dans le désert de glace au-delà.

L’après-midi passa anormalement vite, tellement j’étais plongé dans les péripéties narrées par le livre que je réécrivai.

Finalement, tandis que le crépuscule commençait à tomber, le Meister nous donna congé à Red et moi.

Je refis le même parcours qu’en début de matinée, allumant progressivement les torches sur mon secteur du village.

La nuit était presque tombée lorsque j’eus enfin terminée, les récolteurs d’algues et de champignons étaient depuis longtemps revenus de leur travail.

En chemin vers ma maison, je croisai deux collègues de Lollipop, Swift Charge, un terrestre au poil blanc crême et aux crins bleus, et Viridian Sunlight, une terrestre au pelage couleur taupe et aux crins noisettes.

“Hey Winter! Comment va?” lança Swift Charge d’un air enjoué.

Je souris avant de répondre : “La routine, rien de bien passionnant à copier des livres toute la journée. Et vous, ça s’est passé comment à la champignonnière?”

Viridian Sunlight haussa les épaules.

“Comme d’habitude, un peu comme toi. On a bientôt terminé la récolte sur la seconde champignonnière, d’ici une à deux semaines on va repasser sur la première je pense, mais bon, on verra bien” répondit-elle avec une moue pensive.

“Vous rentrez chez vous du coup, ou vous allez voir Lollipop?” demandai-je.

“Moi en tout cas, je rentre chez moi. La journée de demain va être rude, et je tombe de sommeil.” répondit Viridian en baillant.

“Pareil de mon côté, je vais aller voir si mon lit est toujours aussi confortable que ce matin” ajouta Swift avec un sourire.

“Bonne nuit du coup vous deux!”

“Bonne nuit, Winter.” répondirent les deux poneys à l’unisson, tandis que nos chemins se séparaient.

Quelques minutes plus tard, j’atteignis ma maison, ne rentrant que pour récupérer quelques champignons séchés et mon bâton.

Avant de le caler contre mon dos, je pris le temps de l’examiner. 

Un cadeau de Steel Façade pour mes 20 ans, mon bâton était en bois de houx, dur comme la pierre, mais avec assez de souplesse pour résister aux chocs.

Long de presque un mètre et demi, il était richement décoré d’entrelacs représentant les anneaux d’un serpent de mer, le pommeau étant sculpté pour ressembler à la gueule de ce monstre marin de légende et la pointe renforcée d’acier.

Je secouai la tête avant de me remettre en route. Si je voulais pouvoir m’entraîner et avoir assez de sommeil, je devais me mettre en route immédiatement.

Après quelques dizaines de minutes de trot, j’atteignis enfin la clairière qui me servait de terrain d'entraînement.

C’était un cercle quasi-parfait de presque 30 m de diamètre, le sol, normalement couvert de neige, mis à nu par endroits à cause des sorts que je lançai quotidiennement.

Un arbre solitaire  se dressait en plein milieu de la clairière, un chêne mort depuis longtemps, mais dont le tronc imposant et solide m’avait permis d’améliorer la précision et la finesse avec laquelle je lançais mes sorts

Le tronc de l’arbre, tantôt noirci, tantôt écorcé, montrait les signes de mes entraînements assidus.

Depuis quelques nuits, mon focus se portait sur le maniement du bâton et sur le sort d’éclair.

J’avais déjà maîtrisé à la perfection le sort d’explosion, j’étais désormais capable d’augmenter son rayon d’action ou le réduire d’une pensée, sans que cela n’affecte le temps de lancement du sort.

Mon sort de cône d’incinération était tout aussi efficace, capable de carboniser une large zone tel le souffle d’un dragon de légende, tout en évitant les cibles que je ne souhaitais pas toucher.

Le sort d’éclair me posait plus de soucis. Il demandait plus de finesse que les autres et je n’avais pas tout à fait réussi à maîtriser le dosage de magie à utiliser.

Mes derniers essais la veille étaient plus satisfaisants, mais on était loin de l’éclair fin et précis que les livres du Meister décrivaient, j’avais tendance à mettre trop de magie dans le sort et l’éclair finissait en langue de flamme.

Posant mon bâton, je visai dans mon esprit les branches hautes du défunt chêne avant de commencer à tenter de modeler ma magie.

Enfin, au bout d’une heure ou deux d’essais divers, mon sort devint tel que décrit dans les livres : Un fin trait de magie, atteignant sa cible en une fraction de secondes et imprégné d’un aspect magique, ici du feu.

L’aspect de flamme me venait naturellement, et imprégnait tous mes sorts. Il était techniquement possible d’utiliser d’autres aspects, comme la foudre ou la glace, mais le feu me convenait.

Meister Maelström parlait de “compatibilité aetherique" pour décrire mon affinité avec l’aspect des flammes, chaque licorne ayant une affinité plus ou moins forte pour un ou plusieurs éléments.

Apparemment, les licornes de l’ancien temps préféraient la capacité à faire appel à la plus grande quantité d’aspects magiques possible, au détriment de la maîtrise de chaque élément.

Je continuai à lancer le sort d’éclair, encore et encore, tentant de réduire le délai entre le moment où je pensais à lancer à le sort et son lancement effectif.

Au bout d’une heure supplémentaire, j’avais épuisé ma réserve de magie et mon estomac criait famine.

Je fis une pause rapide pour manger. Levant la tête vers le ciel étoilée, je me demandais pourquoi la lune n’était jamais présente.

Le soleil se levait tous les jours, ce qui voulait dire que, quelque part, une ou des licornes continuaient d’assurer le nécessaire travail consistant à lever l’astre.

S’ils étaient capables de lever le soleil, pourquoi pas la lune? Secouant la tête pour chasser ces réflexions sans but, je me levai en prenant mon bâton.

Me redressant sur mes pattes arrières, je pris le bâton entre mes pattes avant et commençai par tenter de frapper le tronc de l’arbre mort puis de sauter en arrière, toujours en équilibre sur mes pattes postérieures.

Il était devenu facile de rester ainsi maintenant, comparé à mes premiers essais qui avaient fini par une chute.

L’entraînement continua jusqu’à ce que mes pattes postérieures signalent leur mécontentement par des tremblements de fatigue.

Me laissant retomber sur mes quatre pattes, le souffle court, je pris un instant pour reprendre ma respiration.

La nuit était bien avancée, la forêt aussi noire que du charbon de bois.

Machinalement, je lançai un sort d’orbe lumineux avant de me mettre en marche vers le village.

L’orbe consommait très peu de magie et sa lumière orangée dansait comme la flamme d’une lanterne, dessinant des ombres fantasmagoriques entre les arbres.

Une fois arrivée chez moi, je mis en place ma clepsydre, faisant attention à ne remplir le récipient qu’à moitié, étant donné que j’étais censé le remplir au crépuscule pour préparer l’alarme du matin suivant.

Épuisé par ma journée de travail et ma soirée d’entraînement, je posai mon manteau en vrac sur ma chaise, avant de me laisser lourdement tomber sur mon lit, l’orbe magique s’éteignant automatiquement.

A peine la couverture me recouvrit, que le sommeil m’avait emporté.

 

*****

 

La journée du lendemain fut semblable à celle de la veille, se lever, éteindre les torches, aller chez le Meister pour recopier des livres toute la journée, allumer les torches, s’entraîner.

Je n’arrivai pas à trouver le sommeil cette nuit-là. Les yeux grands ouverts, étendu sur le dos en fixant le plafond à la lumière de ma lampe à huile, je me demandai si c’était ce que je voulais faire de ma vie: répéter les mêmes actions, jour après jour, année après année, rêvant du monde au-delà des montagnes mais sans jamais oser m’y aventurer.

Au bout de plusieurs heures, alors que la flamme de la lampe était presque éteinte, ma décision fut prise. J’allais partir explorer le monde, montrer au village qu’il y avait d’autres poneys, d’autres races par delà les contreforts des montagnes.

Mais une expédition comme celle-là exigeait une préparation minutieuse. Je devais préparer un moyen de dormir dans la nature en étant isolé du froid mordant, planifier mon chemin à travers le col tortueux et traître qui reliait le village au monde extérieur.

Je passai les deux semaines suivant ma décision à économiser des rations et préparer en secret mon voyage.

J’empruntais au Meister plusieurs livres chaque jour, cachant l’emprunt de livres topographiques des montagnes par l’emprunt de livres sur la géologie et l’astronomie.

J’avais cessé mes entraînements quotidiens, afin de pouvoir apprendre par cœur les dangers du col de montagne.

Ma lampe à huile restait allumée jusque tard dans la nuit, tandis que je faisais le décompte de mes provisions et des fournitures que je chipais dans le village.

La tente fut le plus difficile à me procurer, personne ne possédait quoi que ce soit de similaire dans le village.

Je pris le parti d’utiliser une petite voile de bateau, son tissage serrée et son épaisseur de toile devrait pouvoir assurer une excellente isolation. 

Le problème étant que les voiles de rechange étaient stockées dans un bâtiment proche du port, à l’opposé de ma propre maison….

Ce qui signifiait que j’allais devoir traverser le village sans me faire voir, à la lumière des torches, ramasser une voile et faire le chemin inverse avec elle sur le dos, au vu et au su de tous ceux qui décideraient de jeter un œil à l’extérieur.

Je tentai ma chance un soir où le vent soufflait particulièrement fort depuis la mer. 

Pour être plus discret, j’avais fait le pari de laisser mon manteau chez moi, sa couleur bleue tranchant trop vivement sur le blanc de la neige.

Grelottant sous les rafales du vent marin, je me hâtai vers l’entrepôt, en espérant que ma couleur se fondrait suffisamment avec la neige en train de tomber pour cacher mon escapade.

Le bâtiment n’était pas fermé. En même temps, à quoi bon fermer un local contenant seulement des cordes et des voiles?

Je trouvai mon bonheur en quelques minutes, une voile de taille suffisamment modeste pour pouvoir servir de tente.

J’hésitai un court instant, avant de rajouter une longueur de corde à mon butin.

Le voyage de retour vers ma maison fut plus long que l’aller, mais le vent étant un peu retombé, le froid était moins mordant.

Une fois arrivé chez moi, j’entrepris de modifier la voile, la recoupant légèrement pour lui ajouter une entrée refermable et cousant un pan de voile sur l’arrière pour le fermer complètement.

Ce travail me prit une bonne partie de la nuit. Les coutures n’étaient pas belles à voir, mais elles étaient solides, je pouvais tirer dessus de toutes mes forces sans qu’elles cèdent.

Finalement épuisé, je cachai ma tente sous mon lit avec les rations que j’avais récupérées, avant de me mettre au lit.

Des coups à ma porte me réveillèrent en sursaut le lendemain. Les paupières encore lourdes de sommeil, je remarquai que le jour était pleinement levé.

“Winter! Dépêche-toi de te lever, on va être en retard! J’ai déjà éteint les torches de ton secteur mais on a pas beaucoup de temps avant que le Meister sorte voir où on est.”

Me levant d’un bond, je pris à peine le temps d’attraper mon manteau avant de sortir en toute hâte.

Dans ma précipitation à sortir, je trébuchai et tombai sur Red Bolt. Me relevant aussi prestement que possible, je tendis un sabot vers Red pour l’aider à se relever.

“Désolé Red, je pensais pas que tu serais juste derrière la porte” m’excusais-je d’un air piteux.

Après s’être relevé, il rajusta son propre manteau, cachant de nouveau sa cutiemark en forme d’étoile à quatre branches.

Il secoua la tête d’un air moralisateur avant de répondre.

“Pas de problème, fais juste attention la prochaine fois, d’accord? Allez, viens, faut qu’on y aille sinon le Meister va nous gronder si on est en retard.”.

Pendant que nous trottions vers la maison du Meister, je ne pus m’empêcher de rire doucement à la formulation qu’il avait utilisée.

Malgré notre hâte, le Meister nous attendait sur le pas de sa porte. Sans un mot, il nous fit signe d’entrer.

La journée fut la même que d’habitude, à part que la fatigue ralentissait mon rythme de copie, un fait qui n’échappa pas à mon mentor.

Le soir venu, il me retint un instant.

“Winter, j’ai remarqué que tu étais distrait ces derniers temps, comme si tu étais concentré sur autre chose. Y-a-t-il un problème?”

Mon cœur battait la chamade. Je n’avais pas été aussi discret que ce que je m'imaginais finalement. Mon cerveau tournait à plein régime, tentant de trouver une réponse qui conviendrait au Meister.

“Non, non, Meister, juste un peu de mal à dormir ces derniers temps, mais rien de grave je vous assure.” répondis-je avec autant d’assurance que je pus rassembler.

Le Meister hocha lentement la tête.

“Il est vrai que le vent de mer souffle fort cette année par rapport à d’habitude, rien d’étonnant à ce que tu aies du mal à dormir. Tu n'es pas le seul d’ailleurs, d’autres habitants se sont plaint du vent ces derniers jours” me dit-il d’un ton bienveillant.

“Allez, file Winter. Tu as encore les torches de ton secteur à allumer. Il ne serait pas charitable de ta part de laisser Red Bolt s’en occuper, hmm?” rajouta le Meister.

Bredouillant un vague au revoir, je partis au trot pour allumer les torches de mon secteur. 

Une fois mon travail effectué, j’aperçus Red Bolt sur le chemin du retour. Je pressais l’allure pour arriver à sa hauteur.

“Red, merci encore pour ce matin, je te dois une fière chandelle! Désolé de t’avoir donné du travail en plus et de t’avoir mis en retard.”

Red Bolt balaya mes remerciements d’un mouvement du sabot en souriant.

“Bah, c’est pas grave Winter, si les rôles étaient inversés, je suis sûr que tu ferais la même chose pour moi. Et puis bon, c’est fait pour ça aussi les amis, faut se serrer les coudes!”

“C’est sûr mais quand même, c’était pas sympa de ma part de te donner du travail en plus comme ça. Si jamais je peux t’aider en quoi que ce soit, hésite pas!”

Red Bolt détourna brusquement la tête. Curieux, je regardai dans la direction qu’il fixait, sans remarquer quoi que ce soit qui aurait pu attirer son regard.

Il secoua la tête légèrement avant d’ajouter avec un sourire gêné: “Désolé Winter, j’ai cru voir Lollipop voler dans cette direction. T'inquiètes pas, tu me revaudras ça un jour, j’en suis persuadé.”

Son expression était bizarre, mais je pris le parti de hausser les épaules.

“Winter, je te connais, tu prépares un truc. Ces derniers temps, tu es en retard plus souvent, tu es distrait et tu as tout le temps l’air de réfléchir à quelque chose.”

Red me fixa d’un air inquisiteur. Mon cœur se mit à battre, de peur que mes préparations aient été découvertes.

“Allez Winter, avoue. Qu’est ce que tu mijotes? La dernière fois que tu avais cet air, c’est pour l’anniversaire de Lollipop, quand tu tentais de lui cacher le feu d’artifice magique que tu lui réservais.”

Mon cerveau bouillonnait, tentant de trouver un mensonge convaincant, avant de me rappeler que Red Bolt me connaissait trop bien pour que je puisse lui mentir avec succès. Une idée me traversa l’esprit. 

Mentir était certes hors de question mais je pouvais toujours tenter de détourner ses soupçons.

Soupirant, je pris un air contrit avant de lui répondre : “Bon, d’accord, d’accord, je vais te raconter, mais tu me promets que tu ne te moqueras pas hein?”

Je baissai les yeux, et lâchai : “ça fait plusieurs semaines que je tente de maîtriser le sort de sphère de ténèbres. Tu sais, celui qui couvre une zone avec un orbe d’ombre absolue.

J’ai maîtrisé le sort d’orbe lumineux en un rien de temps, mais celui-là m’échappe et ça m’énerve… Du coup, toute la journée, je pense à comment le lancer pour qu’il fonctionne.”

J’exultai mentalement quand je vis que Red avait mordu à l’hameçon. 

“Ah, je comprends, c’est vrai que c’est extrêmement frustrant de tenter de maîtriser un sort nouveau, surtout aussi éloigné de ta spécialité. Tu est plutôt dans le feu et la lumière, là c’est tout l’opposé.”

Il passa machinalement un sabot sur son menton, imitant inconsciemment la mimique pensive du Meister.

“Je pense que tu devrais tenter de lancer le sort comme si tu lançais ton orbe de lumière, mais en imaginant que tu éteins une torche, au lieu de l’allumer”.

Je me forçai à prendre un air dubitatif.

“ça a l’air presque trop simple. Tu es sûr?”

Il hocha vigoureusement la tête avant de répondre.

“Essaie, tu verras. Parfois, les problèmes les plus complexes ont des solutions d’une simplicité aberrante!”

Je n’avais jamais tenté de lancer ce sort, mais j’en avais entendu parler et je remerciais ma bonne étoile de m’avoir donné cette idée pour détourner l’attention de Red, ma tentative de lancement n’en serait que plus crédible.

Je me concentrai, tentant d’imaginer une zone sphérique d’un mètre de diamètre se vider de toute lumière avant d’activer ma magie.

Canalisée par ma corne, le voile de magie forma une sphère parfaite, puis graduellement, la sphère devint de plus en plus sombre, jusqu’à devenir si sombre qu’on se serait cru au plus profond des bois.

Me décochant une bourrade d’encouragement, Red passa la tête à l’intérieur puis déclara: 

“C’est parfait! Je ne vois absolument rien!”

J’eus un petit sourire victorieux. Réussir à lancer un sort, qui m’était presque inconnu, dès le premier essai, c’était un beau succès.

“Allez Winter, c’est pas tout ça, mais il se fait tard. Je vais aller dormir, tu devrais en faire de même. Et n’oublie pas de régler ta clepsydre!”

 

*****

 

Le lendemain matin, je pus faire l’extinction des torches sans prendre de retard pour mon travail. 

La journée sembla s’étirer de manière interminable, je me retrouvai de nouveau à copier des livres de comportement en haute société plus ennuyeux les uns que les autres.

Finalement, le travail toucha à sa fin, et je me préparais à partir vers ma maison quand Meister Maelström me retint avant de me confier un petit livre à lire.

Sans réfléchir, j’empochai le livre et le rangeai sans prendre la peine de lire le titre. 

Le Meister donnait régulièrement à Red et moi des livres à lire, généralement sur la pratique de la magie.

Une fois revenu chez moi, je sortis le livre de mon sac après avoir fait mon repas et me figeai.

Le titre de l’antique volume proclamait en lettre d’or :“Survie en milieu arctique, les bonnes pratiques et les erreurs à éviter”.

Je déglutis lentement, réfléchissant aux implications.

Le Meister devait avoir compris mon intention et remarquer les livres que j’empruntais, je m’étais cru malin, mais apparemment pas assez pour tromper sa vigilance.

D’un autre côté, s’il avait décidé de me donner ce livre à lire, c’était sans doute pour me dire qu’il ne m'empêcherait pas de partir à l’aventure et pour me donner les meilleures chances de survie.

Le livre contenait un grand nombre d’informations, plus précisément sur comment trouver de la nourriture dans la neige et le froid et comment bien se préparer.

Je comparai mes propres préparatifs à ceux décrits dans le livre : cartes du col de montagne, provisions pour plusieurs semaines, tente, sac de couchage, briquet d’amadou, ustensiles pour la nourriture et l’eau, gourdes. Mes sacs de voyage étaient déjà prêts et bouclés.

Tout semblait en ordre. Je savais que le col de montagne allait être traversable pendant un peu plus d’un mois avant que la saison ne change et que les vents marins ne faiblissent.

Je pesais le pour et le contre. J’étais aussi prêt qu’on pouvait l’être, m’attarder plus ne ferait qu’attirer plus d’attention sur mes préparatifs. 

Red avait déjà senti que quelque chose clochait et le Meister également, combien de temps avant que Lollipop ou Steel comprennent?

En plus, si je partais maintenant, ça me laisserait largement assez de temps pour traverser les montagnes et voir le monde au-delà puis de revenir avant que le col ne devienne impraticable pendant plusieurs mois.

Ma décision était prise, je partirai au lever du jour!

 

*****

 

Le jour n’était pas encore levé quand ma clepsydre me réveilla. Je pris un petit-déjeuner rapide en utilisant les dernières provisions encore chez moi et non empaquetées.

Je laissai sur ma table la lettre que j’avais préparée la veille avant d’aller dormir. Une pointe de culpabilité me pinça le cœur à l’idée de partir sans dire au revoir.

Le froid était mordant, le vent marin soufflant assez fort ce matin-là, le ciel sans nuage brillant d’étoiles.

La neige fraîchement tombée dans la nuit assourdissait mes pas, malgré tout, la prudence était de mise, je ne tenais pas à me faire surprendre en train de quitter le village.

J’atteignis assez rapidement le chemin menant au col, et commençait à le gravir.

Au bout de quelques minutes, une voix tremblante m’interpella.

“W-winter? Q-q-qu’est ce que tu fais?”

Je me retournai. Ocean breeze voletait au dessus de moi, grelottant plus de peur que de froid. 

Sur les douze dernières années depuis l’incident de sort, Ocean m’évitait soigneusement, au point d’avoir déménagé afin d’être dans le secteur du village dont Red Bolt s’occupait.

Un plan germa dans mon esprit afin d’éviter qu’Ocean ne réveille tout le village. Je me concentrai pour lancer un sort d’orbe lumineux juste sur le nez du pégase.

Il se figea et atterrit immédiatement, de grosses gouttes de sueur perlant sur son front.

“Bon, Ocean, on va se mettre d’accord. Tu ne m'as jamais croisé et tu ne sais pas où je suis, compris?”

Terrifié par l’orbe de lumière vacillant sur son museau, il ne répondit pas, se contentant d’hocher frénétiquement la tête pour indiquer son approbation.

“Maintenant Ocean, tu vas rentrer chez toi, te recoucher et ne sortir que pour prendre ton service à la récolte d'algues. Tu ne parleras à personne de notre petite conversation avant ce soir.” ajoutai-je

L’orbe disparut, et sans demander son reste, Ocean s’envola à toute vitesse. Un sourire naquit sur mes lèvres, c’était une piètre revanche par rapport à ce qu’il m’avait fait subir dans le passé, mais c’était tout de même satisfaisant.

Je repris mon ascension, le ciel nocturne pâlissant à mesure que je me rapprochai du col.

Le sol devint de plus en plus traître, la neige cachant la glace et le verglas, me forçant à ralentir mon allure.

J’atteignis finalement le col tandis que le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon. 

M’arrêtant pour reprendre mon souffle, je me retournai une dernière fois vers SeaHorn.

Les rayons du soleil lançaient du reflet sur la baie, les bateaux de récolte d'algues toujours à l’ancre dans le port.

Les torches du village s’éteignaient lentement du côté du secteur de Red Bolt, et bien que j’étais trop loin pour distinguer sa forme, je pouvais clairement l’imaginer.

De la cheminée du Meister s’élevait déjà une mince colonne de fumée. 

Ma position me permettait d’avoir un point de vue inégalé sur mon village natal. Je pouvais même apercevoir la clairière qui servait à mes entraînements, avec son arbre solitaire au milieu.

J’étais tiraillé par mes émotions.

Malgré mes mauvais souvenirs et la façon dont la majorité du village me considérait, c’était ma maison, le seul endroit que j’avais jamais connu de toute ma vie.

Mes amis vivaient là, et encore une fois ma culpabilité me serra le coeur.

Je me rassurai en disant que, quoi qu'il se passe, je serai de retour dans un mois. 

Tournant le dos à SeaHorn, j’observai le monde au-delà des montagnes.

Une plaine recouverte de neige s’étendait à perte de vue, encore dans l’ombre, aucun signe de vie n’était visible depuis mon point de vue.

Malgré cette vision peu engageante, mon cœur se gonfla d’impatience et d’allégresse, désireux de partir explorer le monde.

Après un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule vers SeaHorn, je pris une grande inspiration et commençai ma descente vers l'inconnu.

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