Chapitre X - La renaissance d'une Skiá
La journée qui suivit s'avérera décisive dans la vie de Luna. Car Nightmare Moon, bien que n'ayant rien dit de clair à ce sujet, pressentit qu'il était temps, pour elle et sa jumelle, d'être enfin dans une paix totale, de fusionner ensemble. L'ex-princesse de la nuit avait abandonné ses craintes et ses doutes qui la harcelaient ces derniers jours, comme sa haine envers son Nightmare, ou plutôt ce qu'elle dirait actuellement, envers soi-même.
Moon voulut lui réserver la surprise. Et quand donc Luna lui rendit à nouveau visite, chose devenue quasi-quotidienne depuis ces dernières semaines, elle lui proposa de se prêter à un jeu. De jouer à cache-cache pour être plus précis.
Nightmare Moon veut jouer à cache-cache ? Voilà une chose bien étonnante pour quelqu'un qui se prétendait être la face sombre d'un poney. Et pourtant cette fois-là, Moon était une toute autre personne. Elle souriait plus que d'habitude, et semblait habitée par une étrange alacrité qui ne lui ressemblait pas, elle pourtant si froide. Par son simple comportement, elle démontra à Luna officiellement et sans honte l'amour qu'elle lui portait, et ce au travers d'un jeu pour poulain.
Luna parut satisfaite et joyeuse en constatant que son Nightmare lui confessait enfin ses sentiments qui la hantaient depuis l'aube de sa vie, bien que cela demeura indirecte. Elle ébaucha la motivation d'un petit enfant en extase devant une opportunité de divertissement. Quoiqu'elle se questionnât un peu sur le choix de l'environnement. Nightmare Moon voulait que le jeu se déroule dans une forêt de chêne mort plongée dans un brouillard opaque et lugubre.
"Toi, tu vas te cacher et c'est moi qui cherche", lui dicta Nightmare Moon. "Je compte jusqu'à cent. Je gagne si je te trouve et t'attrape."
"Si tu m'attrapes ?" dit Luna un peu perplexe. "Attraper celui qui se cache ne fait pas partie des règles."
"Et alors ? On a bien le droit de les changer un peu. Et je veux que tu t'enfuies si je te trouve. Et si je t'attrape, c'est moi qui gagne."
"Heu... d'accord."
Nightmare Moon colla sa tête sur l'arbre le plus proche et commença à compter. Luna ne s'étant pas attendue à ce qu'il n'y ait aucun signal ou décompte pour le début du jeu, partit au triple galop, comme si elle avait déjà perdu assez de temps. L'autre sourit en entendant sa jumelle galoper. Puis les bruits de course s'assourdirent, jusqu'à s'estomper complètement, au fur et à mesure que sa proie gagnait en distance.
"Seize... dix-sept... dix-huit... dix-neuf... "
Elle soupira, déjà bien ennuyée.
"Cent", tricha la compteuse.
Elle se tourna et vit comme elle était seule, encerclée par la brume et les arbres morts. Elle marcha avec un air déterminé et un sourire prédateur, dans la direction où elle avait entendu Luna se diriger. Elle savait que ce ne sera pas bien compliqué de la retrouver. Étant liée par l'esprit avec elle, elle avait conscience de sa localisation exacte. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne capture sa petite jumelle.
Après avoir galopé sans s'arrêter quelques bonnes centaines de mètres, Luna se faufila à l'ombre d'un chêne desséché, où elle se cacha à l'abri d'un grand rocher et d'un buisson tout aussi inquiétants que la forêt en elle-même. Malgré que le bois eût une atmosphère d'épouvante, Luna n'avait point peur et retint un petit pouffement dans sa bouche, se demandant si elle n'avait pas exagéré en allant aussi loin. Parce qu'au fond d'elle-même, elle désirait que Moon la trouve. Elle désirait qu'elle lui coure après, et qu'elle l'attrape. Elle désirait que son Nightmare gagne la partie. Mais elle joua le jeu et resta cachée, sans faire le moindre bruit. Respirant même le plus lentement possible pour éviter que son souffle ne soit entendu.
Très peu de temps après qu'elle se soit installée, elle vit déjà Nightmare Moon sortir de la brume pour entrer dans la zone où elle s'était cachée. Comment se fait-il qu'elle ait déjà fini de compter ? Elle a osé tricher ? pensait Luna. Elle était censée compter jusqu'à cent. Bah. Peu importe. Elle était cachée, et attendait patiemment que Nightmare Moon ne la trouve. Ce qui était inévitable, croyait-elle aussi.
L'alicorne noire savait où elle était cachée mais feignit de l'ignorer, afin de paraître fair-play un minimum. Et même par feinte, ce fut difficile de ne pas voir Luna. Le bout de sa corne dépassait de par-dessus le buisson. Moon fit mine de ne rien remarquer et fouilla en premier là où la jument bleue ne se trouvait pas. Puis une minute plus tard, elle se téléporta juste derrière Luna. Ce qui la fit sursauter en se retournant, après avoir entendu l'éclat magique.
"Trouvée", dit doucement Nightmare Moon avec un sourire carnassier.
Luna s'enfuit à tire d'aile par instinct, comprenant qu'elle avait été dupée. Et elle fut pourchassée de très près par Nightmare Moon, qui traqua sans se fatiguer sa proie sur plusieurs centaines de mètres encore, slalomant avec agilité et célérité entre les arbres malgré sa grande taille. Jusqu'à qu'elles sortent toutes deux de la forêt pour atterrir dans une sorte de clairière herbeuse et dépourvue de brouillard.
Ce fut dans ce terrain déboisé que Nightmare Moon captura finalement Luna. Filant bien plus vite, elle passa par-dessus le dos de sa jumelle et la plaqua. Elles firent toutes deux un roulé-boulé dans l'herbe fraiche du soir, sous les étoiles et la pleine lune qui jusqu'alors, étaient masquées par la brume épaisse.
Quand elles finirent de rouler l'une contre l'autre à la pareille d'un tonneau, Nightmare Moon se retrouva au-dessus de Luna. La dominant de toute sa taille, elle lui serra et entrava fortement ses pattes pour la dissuader de se débattre. Elle eut un sourire vainqueur et triomphant, alors que l'alicorne bleu marine riait en retour, non frustrée de s'être faite avoir ; bien au contraire.
"Je t'ai attrapée", dit la grande gagnante avec un large rictus.
"Oui. J'ai perdu", répondit Luna passive qui partageait la joie du moment. "Et maintenant que tu m'as attrapée, que vas-tu faire ?"
Nightmare Moon ne dit rien, continuant de fixer Luna avec des yeux dans lesquels celle-ci arrivait à contempler son propre reflet. C'était un tableau très sublime : la tête du Nightmare était positionnée juste devant la pleine lune dans ce que Luna voyait du firmament. Et l'astre lui offrait comme une couronne de lumière. Et cette même clarté rendit son crin rempli d'étoile cristallin comme le ciel d'azur d'un jour estival, ponctué de diamants.
Elle bloqua Luna en se relevant le buste et en s'asseyant sur le ventre de sa jumelle. Et elle se débarrassa de ses plates. Elle retira, une à une, les pièces de son armure à l'aide de sa magie ; en commençant par le casque. Elle laissa ainsi découvrir son corps nu, beau et élancé que jamais Nightmare Moon n'eut l'habitude de dévoiler. Sans son casque, son plastron et ses jambières ; d'un alliage de fer, de carbone, d'argent et de platine ; elle se sentait vraiment mal à l'aise... vulnérable. Ce qui aurait été véritablement le cas si elle n'était pas seulement en présence de Luna.
D'ailleurs, à son propos, la petite alicorne observait son Nightmare avec une petite pointe d'émerveillement. Moon lui ressemblait tellement sans son armure qu'elle avait l'illusion d'avoir affaire à son sosie ; si ce n'était pas pour la noirceur de son pelage, la différence de taille ou ses pupilles effilées. La notion de pudeur vis-à-vis de la nudité n'était pas connue des poneys, mais la voir ainsi sans ses vêtements... – ou disons plutôt sans son armure – Luna ne put s'empêcher de blanchir légèrement en la voyant ainsi nue et splendide dans ses formes découvertes.
L'alicorne noire se rabaissa et entrouvrit la bouche, découvrit ses dents pointues, et laissa pendre sa langue. Elle couvrit Luna pour l'enserrer de tout part entre ses membres. Son long crin l'enveloppa peu à peu, mèche après mèche, se faufilant entre les moindres recoins de son corps, des sabots jusqu'à la tête, comme des tentacules. Et elle lui fit une petite lichette dans le cou, ce qui fit frémir la jument bleue prise et bloquée entre ses pattes comme dans un piège à loup. Cette dernière comprit ce qui allait se passer. Le rite touchait enfin à sa fin. Elle était sur le point de fusionner avec son Nightmare. Et elle comprit également comment cela allait se dérouler : elle allait se faire mordre par Nightmare Moon.
La vampony lui lécha à nouveau la gorge, pressant sa langue contre le poil et parcourant toute la longueur du cou, langoureusement. Luna frissonna de peur sous le coup de langue, mais aussi de plaisir. Est-ce que ça va faire mal ? se disait-elle.
Moon lécha encore une fois la jugulaire de sa jumelle. Et sa bouche remonta jusqu'à la base de sa tête, escalada le menton, puis s'arrêta sur la lèvre inférieure qu'elle pinça aussitôt entre les siennes. Et alors elle sourit, colla son museau contre celui de Luna, qui elle était surprise par son comportement, entre la peur et le désir de l'autre, mais néanmoins enjolivée par ce sourire tendre.
Luna osa faire passer ses pattes à présent libres autour de l'encolure de son Yin, qui lui se conforta sur le corps de son Yang, permettant à ses courbes d'épouser les siennes, se compressant et ondulant les unes contre les autres, comme les vagues qui se forment sous les légers baisers du vent envers la mer. Et leurs deux sourires se rencontrèrent de nouveau. Leurs lèvres se touchèrent. Et Moon lui lécha ses babines, ce qui donna un autre papillonnement, de délice et de frêle gêne, à Luna.
Moon redescendit sa bouche vers le cou et redonna plusieurs lichettes dans le col. Luna se tordit et gigota sous les attaques répétées de la langue de sa moitié. Mais elle ne put malheureusement pas résister à cette taquinerie, assujettie comme elle fut au corps à corps avec son Nightmare.
"Moon ! Stop !" rit-elle. "Ça chatouille !"
Cette dernière gloussait du fond de sa poitrine, alors qu'elle fit avancer ses crocs sur sa gorge. Et cette fois, c'était la pointe de ses canines vampiriques qui venait stimuler les sensations par des petits grattements. Luna le ressentit comme des pointes de couteau prêtes à lui transpercer la peau. Et donc, malgré son rire incontrôlé, elle resserra d'un coup sec ses pattes autour de Nightmare Moon. Cette dernière comprit immédiatement cette réaction quelque peu soudaine.
"Shhhhh", essaya-t-elle de la rassurer. "N'aie pas peur."
"Ça... ça va faire mal ?" dit une Luna courageuse et toujours passive, sachant pertinemment que cela devait être fait.
"Ce sera très rapide. Tu verras."
"V... vas-y. Je ne t'en empêcherai pas."
Nightmare sourit devant le consentement de sa moitié. Afin de l'aider à se détendre et surtout à s'habituer aux futures sensations, elle lui fit un suçon. Tandis que le cœur de Luna vibrait comme tout le reste de son corps, face à tant d'érotisme. Et pendant que l'autre fit son affaire, elle garda un rictus incertain, en contemplant les étoiles et la pleine lune, hautes dans le ciel. À s'interroger sur les conséquences de cet évènement auquel elle accrochait autant de valeur.
Et les canines fendirent sa chair, ce qui lui infligea une douleur insoutenable qui bien qu'attendue, força Luna à pousser le cri strident d'une proie qui se faisait abattre. Mais comme Nightmare Moon l'eut dit juste avant, c'était bref : sa souffrance ne fut qu'éphémère, retombant progressivement à un état plus supportable. Les crocs furent retirés de la plaie d'où le sang argenté de Luna s'écoula aussitôt, comme une source s'échappant d'un glacier de montagne. Et Nightmare Moon but le sang de Luna, suça les deux cicatrices, malaxa la jugulaire dans une succion sensuelle qui fit gémir la prunelle de ses yeux.
La douleur se mua peu à peu en un doux et luxuriant plaisir. Le contact et le mélange entre son sang et la salive de Nightmare Moon la firent jouir dans son âme, puisque par l'empreinte laissée sur elle par son alter ego, elle communiait avec sa propre essence. Et comme l'alicorne vampirique se nourrissait de son sang, la salive de cette dernière coula dans ses veines. Et à travers cette salive, elle fut remplie d'une étrange énergie. Une énergie qui l'envoûta et qui se manifesta en une transe sur son visage se métamorphosant, comme le reste de son corps.
Cette douceur voluptueuse octroyée par la morsure et l'échange de fluide se changea en une autre douleur. Une étrange crampe qui envenimait ses membres ; et envahissait ses dents. Ses gémissements euphoriques se mêlèrent à des lamentations, entre la croissance, et les spasmes de plaisir exercé par la connexion avec Nightmare Moon, savourant son sang plus sucré et plus doux que le lait et le miel.
Et alors, Luna qui avait fermé ses yeux, sous l'emprise de toutes ces nuances qui éprenaient ses sens, les ouvrit subitement, face à une sensation tout à fait inédite. Une sensation qu'elle ignorait comment décrire. Ce fut la première fois qu'elle expérimentait une telle chose. Sa bouche fut comme asséchée.
Elle avait soif. Terriblement soif.
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Comme à son habitude, Selifós veilla dans toute l'attention possible sur sa petite-nièce endormie. Tout dépendait de quand son Nightmare estimerait le moment propice pour qu'elles deux soient en paix. Dès la première nuit durant laquelle Luna eut débuté le rite de Nýchta, il vérifiait régulièrement l'apparence physique de Luna en rentrant de temps à autre dans sa chambre à coucher, silencieusement pour ne pas la réveiller.
Il leur avait déjà expliqué, à elle et à sa sœur, qu'il agissait ainsi dans le but de superviser le rite, afin de s'assurer que tout se passe bien, au cas où il y aurait une ingérence avec son Nightmare. Avoir Selifós veillant sur elle et sur le bon déroulement des faits la rassurait ; bien que cela l'effrayait un peu au réveil de le voir l'observer pendant son sommeil.
Il fallut avouer que l'étalon aimait la regarder dormir. Elle arborait un sourire si adorable quand elle rêvait paisiblement. Elle était si belle dans les bras de Morphée. Cela réanimait en lui de vieux souvenirs nostalgiques et heureux. Il en avait presque envie de lui caresser doucement le crin. Mais bien qu'il en fut tenté à chaque fois qu'il la regardait dormir, il s'abstint, sachant évidemment que ce n'était pas raisonnable, et qu'il se devait de respecter son intimité.
Donc il ne fit que jeter de bref coup d'œil. La plupart du temps, il s'adonnait à d'autres activités, ou patientait dans la salle voisine. Celestia n'aimait pas trop sa manie de regarder occasionnellement sa petite sœur dormir : elle trouvait ça un peu malsain ; bien qu'il lui eut expliqué que c'était pour le bon déroulement du rite. Même si l'alicorne blanche voulait bien lui allouer crédit, elle n'y croyait qu'à moitié : elle soupçonnait ici une autre raison. Mais elle le laissait faire quand même. Après tout, ça ne semblait pas gêner Luna outre mesure.
Selifós répéta du coup comme à son habitude ce petit rituel. À chaque fois que Luna partait dormir, il venait veiller sur elle quelque fois. Et alors, assez tard dans cet après-midi, il aperçut quelques changements. Ces fameux changements tant attendus. Et il ne priva pas d'exprimer ouvertement sa joie devant sa petite-nièce sommeillant.
Ça y est ! se réjouissait-il intérieurement. Son Nightmare est en train de la mordre. Elle se transforme !
Je veux bien partager ton émoi, lui dit Light d'un ton à la fois calme et alarmant. Mais je ne crois pas que sa stupide sœur en fera de même ; elle, toujours aussi butée avec ses idées bien arrêtées.
On parie ?
T'es tout aussi naïf que stupide, répliqua-t-il encore avec gravité, lui qui ne se laissait point atteindre par l'enjouement de son jumeau. Elle va rejeter sa petite sœur en voyant ce qu'elle devient. C'est certain.
Ton pessimisme te tuera un jour. Dit Selifós avec dédain.
Non. Je suis réaliste, alarma plus encore le Nightmare. Ça ne peut que mal tourner. Tu le sais aussi bien que moi. Mais tu préfères laisser parler ton cœur plutôt que ta raison, comme à ton habitude. C'est bien ta faiblesse. Et comme toujours, tu ne m'écoutes jamais.
Light, la ferme.
Tsk. Cesseras-tu d'être stupide un jour ? cracha-t-il avec rhétorique.
Selifós l'ignora et vint avec conviction voir Celestia qui se promenait sur la plage en contrebas pour lui annoncer la magnifique nouvelle. Luna est en train d'achever le rite ! Si l'ancien alicorne avait un sourire heureux, comme lors d'une naissance ou d'un mariage, la peur et le doute s'emparèrent en revanche du rictus de l'alicorne blanche encore une fois, comme si on lui annonçait les funérailles d'un proche.
Elle le suivit l'angoisse aux pattes jusqu'au chevet de Luna où elle vit sa petite sœur différente de la dernière fois où elle l'avait vue éveillée. Elle paniqua en découvrant que Luna se métamorphosait ; lentement mais sûrement, et à vue d'œil ; en une forme comme un mélange entre sa cadette, et le monstre qui s'était emparé d'elle lors de cette nuit funeste, mille ans auparavant.
Selifós découvrit avec délicatesse le corps de Luna de sa couette, révélant ses formes et ses courbes qui se muèrent en une autre apparence. Il montra à Celestia la tâche noire qui ornait la marque de beauté de sa petite sœur en train de disparaître, et de se mélanger avec la robe bleue pour donner un noir comme le ciel nocturne d'une nuit sans lune. Exactement comme le poil de l'étalon lui-même.
"Admire avec enthousiasme, Celestia", dit-il dans une jubilation calme. "Tu es sur le point d'assister... à la renaissance d'une Skiá."
"Qu... qu'est-ce qu'il lui arrive ?" dit-elle sans une once d'enthousiasme. "Qu'est-ce que tu lui as fait ?"
"Oh, mais rien du tout", répondit-il simplement. "Le rite de Nýchta s'achève de lui-même entre elle et Nightmare Moon. Moi je n'ai fait que m'assurer que tout se passe bien."
"Elle devient... Elle. "
"Oui. On prend une apparence mixte entre celle de nos Nightmare et la nôtre. C'est un peu comme... une fusion. Donc attends-toi à ce qu'elle ressemble à Nightmare Moon."
Il s'approcha un peu du bord du lit pour examiner attentivement la transformation de Luna, comme pour s'assurer qu'il n'y ait aucun souci dans la métamorphose. Celestia en avait les oreilles tombées et les yeux rétrécis, en regardant les pattes et le cou s'allonger ; les ailes s'étendre ; et le crin s'étirer, pour atteindre une longueur qu'elle n'aurait jamais pu soupçonner chez sa sœur. Sœur qui était à présent aussi grande qu'elle.
Elle crut faire un cauchemar quand son oncle examina même la dentition. Il avait relevé tout doucement la lèvre du bout du sabot avec une douceur telle que Luna ne gesticula pas dans son sommeil. Ses canines... elles s'effilaient à vu d'œil. Selifós remit la babine soulevée en place.
"N'est-ce pas magnifique ?" dit-il en admiration face à une Luna qui grandissait.
"Magnifique ? Elle se transforme en vampony !"
"Shhhh !" fit-il en pressant son sabot contre la bouche de sa nièce. "Moins fort. Tu vas la réveiller."
"Mais c'est ce qu'il faut faire", dit-elle plus doucement en ôtant avec vigueur le sabot de l'alicorne noir. "Il faut lui venir en aide." Elle se pressa sur Luna pour pouvoir la secouer.
"Arrête-ça. Es-tu folle ?" la bouscula-t-il pour l'éloigner le plus possible de sa protégée dormeuse. Celestia voulut résister mais sans succès, l'étalon étant bien plus fort physiquement qu'elle. "Si elle se réveille lors de ce rêve bien précis, sa croissance cessera nette dans la procédure et ce sera irréversible. Et ça entraînera des handicaps qu'elle devra endurer pour le restant de ses jours. Tu ne feras que lui nuire si tu la réveilles de force. Lui être néfaste : est-ce vraiment ce que tu veux être pour ta sœur ?"
La jument immaculée aurait voulu s'offusquer, se courroucer. Mais Selifós avait raison. Ce n'était probablement pas consciencieux d'avoir agis comme elle l'eut fait. Percevant qu'elle accepta enfin de se calmer et de rester passive, l'étalon noir ne la garda pas plus longtemps plaquée au mur.
"Reste calme. Tout va bien se passer", voulut-il la rassurer, car il voyait clairement que Celestia avait avant tout agi par peur. Il la poussa gentiment de son aile pour la faire sortir de la chambre et il la suivit. "Heureusement que nous avons le sommeil particulièrement lourd durant ce rêve... Si elle s'en était éveillée avant la fin... " s'adressa-t-il à lui-même. Puis il parla à nouveau à Celestia. "Ta sœur est en ce moment en train de faire la paix avec elle-même. L'accomplissement du rite de Nýchta est un évènement unique dans la vie d'un Skiá. C'est un évènement tout aussi important et rare qu'une naissance ou un mariage. C'est un moment de joie et de bonheur. Tu ne voudrais pas lui gâcher ça, si ?"
"Mais. Mais mais... "
"Shhhh", fit-il pour l'apaiser en pressant sa tête contre la sienne. Il l'embrassa même sur le front. "Tout va bien."
"J'ai... j'ai peur, Selifós. J'ai peur de la perdre."
"Mais tu ne la perds pas. Elle fait juste la paix avec son Nightmare. Et quand elle se réveillera d'elle-même, tu verras. Elle sera apaisée, sereine, heureuse... comme tu voudrais que ta petite sœur soit."
"Je veux juste son bien. Je veux juste qu'elle ne se sente pas rejetée par ses pairs en devenant une vampony."
L'aîné soupira. "Ce n'est pas de ma faute si les poneys ont toujours eu peur des Skiá. Et Luna n'est pas une vampony. Vampony est un mot de haine. Et aussi longtemps que tu le conserveras dans ta bouche, tu ne pourras que nuire à Luna. Rappelle-toi que moi aussi je ne souhaite que son bonheur."
"Et qu'est-ce qu'il te fait croire que c'est ce qu'il y a de mieux pour elle ? Hein ? Tu ne la connais que depuis trois semaines", rétorqua la grande sœur qui se cherchait protectrice.
La réplique fit taire l'ancien. Son regard devint triste, alors que les raisons qui furent invoquées dans sa tête ouvrirent d'anciennes blessures en son cœur. Il tourna la tête pour observer la porte de la chambre.
"Je... je n'en sais rien", mentait-il en cachant sa peine. "Quand on aime, il y a des choses qui ne s'expliquent pas. C'est ainsi."
"Tu... tu fais ça parce que... parce que tu l'aimes ?" murmurait Celestia, tentant de comprendre.
"..." L'étalon plissa ses yeux pour retenir au mieux sa douleur.
"Je comprends mieux... " haussa-t-elle de nouveau la parole, alors que ses yeux brillèrent d'illumination. "Voilà pourquoi tu te montrais aussi aimant avec elle. Voilà pourquoi tu t'efforçais à passer tous ces jours en sa compagnie." Elle prit un ton accusateur. "Tu es amoureux d'elle. Et tu es en train de la transformer en vampony afin de la lier à toi !"
"Arrête avec ce mot-là." La colère montait en lui.
"Voilà tes réelles intentions. Avoue-le. Tu la manipules pour la forcer à venir vers toi et la faire tourner le dos à ses véritables amis."
"C'est faux. Je ne l'ai jamais manipulée !"
"Si tu veux vraiment son bien, alors dis-moi la vérité ! Pourquoi tu l'aimes ? Je suis sa grande sœur, je mérite de le savoir !"
"Parce qu'elle est ma – !" Il stoppa net dans sa furie qui éruptait. Il fit de son mieux pour rester calme. Il ravisa sa réaction. Ne pas être en colère. Rester calme. Il posa le sabot sur sa tempe, comme pour aider à stabiliser sa tête alors en proie à la tempête d'émotion qui se déchaînait. Il souffla.
"Oui, c'est vrai. Je l'aime. Et je te promets, Celestia. Je le jure sur le nom de ma mère, de mon père, de ma famille, de ma défunte femme ; sur ce que j'ai de plus sacré. Jamais. Au grand jamais je ne manipulerai Luna pour la forcer à s'approcher de moi. Je n'essaie pas de la posséder. Je veux juste qu'elle soit heureuse. Et de ce que j'ai toujours vu durant ces millénaires passés, faire la paix avec son Nightmare est l'une des meilleures voix au bonheur et à la paix pour un Skiá."
Un peu renversée par la tirade de Selifós, Celestia resta coite. Il l'avait dit avec tellement de conviction. Et ces yeux envoûtés d'une fureur calme... ce n'étaient pas les yeux de quelqu'un qui mentait.
"Et si cela ne te suffit pas pour te prouver que mes intentions sont louables, sache-le bien... sache que si je dois sacrifier ma vie pour qu'elle vive heureuse et en paix, je le ferais sans hésitation."
"Qu... quoi ?" Elle était choquée, et surtout confuse, en entendant cet engagement aux conséquences aussi graves. "Mais pourquoi ferais-tu ce genre de chose ? Que Luna est devenue pour toi pour que tu sois désireux de donner ta vie pour elle ? Et de manière apparemment aussi inconditionnelle ? Quel genre d'amour est-ce là ?"
Les yeux de Selifós s'embuèrent. "L'a... l'amour d'un mari envers son épouse", confessa-t-il.
Celestia cilla répétitivement devant cette réponse étrange. "Mais Luna n'est pas ton épouse. Ton épouse est décédée il y a plus de quinze mille ans, selon tes dires."
"Je sais... " Une larme coula sur sa joue gauche, alors qu'il contemplait la porte de la chambre de Luna.
"Tu aimais tellement ta femme que même après tous ces millénaires, tu n'arrives pas à effacer son deuil ; et tu la vois à présent à travers ma sœur ?" concluait l'alicorne solaire ce qu'elle comprenait.
"..." Selifós inspira. Et expira. Il essuya sa joue et se dirigea vers la sortie. "Luna va bientôt se réveiller", changea-t-il de sujet. "Ce n'est qu'une question de minute. Je dois me dépêcher de lui trouver à manger."
"Heu... quoi ?" dit la jument blanche qui pensait encore au sujet d'avant.
"Tu sais, Celestia", dit-il une dernière fois avant de refermer derrière lui la porte d'entrée de la villa. "Tu as peut-être raison ; en disant que je cherche à la posséder. Je... je l'aimais tellement. Je... j'espérais juste qu'elle me revienne. Je t'en prie. Pardonne-moi pour m'être emporté ; et de te l'avoir caché surtout."
" ... Honnêtement, j'ai un peu de mal à t'en vouloir, désormais. Je peux comprendre cela. Cependant... je souhaite que tu le dises à Luna... ce que tu viens de me révéler."
"C'était dans mes intentions depuis le début. J'ai seulement choisi d'attendre quelques jours et surtout qu'elle ait finis son rite avant de lui en parler. Mais maintenant excuse-moi : je dois partir. Je reviendrai très vite."
Celestia s'en voulait un peu d'avoir soupçonné Selifós avec autant d'animosité. Elle ignorait complètement ce côté aimant, et elle ne pouvait pas le lui reprocher de n'en avoir rien dit plus tôt. Mais tout de même. Elle ne pouvait accepter qu'il ne transforme sa petite sœur en vampony dans le but de l'attirer vers elle et de la séduire... si elle n'était pas déjà séduite. Car elle avait remarqué aussi combien Luna souriait et se réjouissait en la présence de son grand-oncle. Comme si elle appréciait d'être courtisée par lui.
La révélation lui eut happé la pensée à un tel point qu'elle oublia de demander à Selifós ce qu'il allait faire à l'extérieur. Il eut dit qu'il ne serait pas long. Il eut dit qu'il partait chercher quelque chose pour nourrir Luna une fois cette dernière réveillée. Elle réfléchit.
...
Non... il ne va tout de même pas...
Et hélas, si. Deux à trois minutes après, Sélifós revint, avec un poney endormi sur son dos ; très probablement un passant que l'étalon avait interpellé dans la rue. Pour ne pas dire, ce que craignait Celestia, capturé. Elle n'avait pas essayé de réveiller Luna en son absence mais ça, elle ne pouvait absolument pas l'accepter.
"Ne me dis pas que... "
"Si."
"Je t'interdis de faire ça", contesta l'alicorne claire. "Et encore moins sous mon toit. Et Luna n'acceptera jamais une telle chose non plus. Laisse ce petit poney partir."
"À son réveil, Luna sera habitée par un phénomène que dans ma famille on appelle, la rage du premier sang", expliqua l'ancien Skiá. "Cela consiste en la toute première soif de sang qui nous anime après avoir fusionné avec nos Nightmare. Elle est si brutale, si irrépressible, qu'on en devient sauvage et dangereux. Et tant qu'on n'a pas saturé cette faim, on risque de devenir violent, et de faire du mal sans qu'on s'en rende compte."
"Je ne veux pas de cette excuse", répondit Celestia incrédule.
"Je suis très sérieux", alerta-t-il encore avec le plus de gravité possible. "Luna se comportera comme une bête sauvage à son réveil. Et elle se jettera sur le premier poney qu'elle croisera pour le mordre. Et cette humeur prédatrice ne la quittera pas tant qu'elle n'aura pas eu sa rasade de sang. Et aussi longtemps qu'elle n'assouvira pas sa soif, elle peut se montrer dangereuse pour son entourage. Donc je lui offre un poney pour qu'elle se sustente au plus vite afin de diminuer les risques."
"Non. Pas Luna. Ma petite sœur ne ferait jamais une chose pareille."
"Tu sais ce que dit le dicton ?" dit-il avec un sourire en coin de lèvre. "T'es pas toi quand t'as faim. Mais si tu crois sincèrement que Luna ne le fera pas, alors tu n'as qu'à me laisser faire et attendre que je reconnaisse mon tort. Mais crois-moi, elle le fera. C'est arrivé à moi. C'est arrivé à mes parents, ma tante ; mes frères, mes sœurs ; mes cousins, mes cousines... on est tous passés par là. Alors il n'y a aucune raison que Luna échappe à la règle."
"Mais j– "
Selifós n'attendit pas qu'elle finisse sa phrase pour entrer dans la chambre de Luna. En s'avançant à nouveau sur le côté du lit, il posa en toute légèreté son sabot sur le front de l'alicorne bleu nuit maintenant noire de jais. Il le ressentait : Luna n'était plus en sommeil paradoxal. Elle se trouvait à un stade de sommeil plus léger : elle était sur le point de se réveiller. Intérieurement, le parrain de la jeune Skiá se félicita pour être revenu à temps.
Il déposa tout doucement le poney qu'il avait endormis de force dans le lit de Luna, juste à côté d'elle. Celestia qui regardait par derrière n'avait pas l'esprit tranquille, et priait à ce que Luna ne fasse pas ce qu'elle redoutait une fois celle-ci revenue à elle-même.
Après quelques instants submergés d'angoisse, Luna ouvrit subitement les yeux en inspirant bruyamment par la bouche. Cette expression sur le visage... on croirait qu'elle ressentait une vive douleur. Celestia était pétrifiée. Sa petite sœur avait les yeux perçants de Nightmare Moon. Et dans sa bouche béate on notait ses longues canines saillantes, ainsi qu'une quantité plutôt inhabituelle de salive qui imbibait le creux de sa langue. On croirait presque qu'elle avait contracté la rage.
Celestia osa faire quelques pas en direction de sa cadette ; avec une extrême prudence. De peur qu'elle réagisse violemment à son approche audacieuse. "Lulu ? Est-ce que... ça va ?"
Celle-ci tourna brutalement et sans prévenir ses yeux vers ceux de celle qui s'inquiétait. Celestia avait failli faire un bond en arrière, face à une réaction aussi vivace et glaçante. Ce n'étaient pas les yeux de Luna. C'étaient les yeux d'un prédateur féroce et indomptable, à la recherche d'une proie. Selifós toucha la jument blanche du sabot avec bienveillance au niveau de son épaule afin de la libérer de son tétanissement.
"Oui, Celestia. Je ressens la même chose. La rage du premier sang a toujours été un phénomène impressionnant. Même encore aujourd'hui, ça me choque encore un peu de voir ça, personnellement."
Elle ne l'écoutait pas. Son visage restait figé par l'horreur. Ce regard que Luna lui avait jeté... C'était juste le regard d'une bête assoiffée de sang. Elle n'avait même pas reconnu sa grande sœur. Luna renifla de manière grotesque, comme si elle humait une délicieuse odeur qui la poussait à agir ainsi, et qui convoquait son appétit et toute la frénésie de sa faim.
Elle se redressa tout d'un coup sur sa croupe, fulgurante. Balança son regard assassin çà et là, à la recherche de ce qui avait attiré l'intention de son odorat. Puis elle remarqua la présence du poney endormi. Cette délicieuse boule de vie et d'énergie... elle entendait tout ce succulent sang qui circulait dans ses veines, pulsé par son cœur dont chaque battement était aussi bruyant aux oreilles de Luna qu'un coup de marteau sur une enclume.
Elle s'abattit sur lui avec vélocité. Tel le faucon fondant sur un rongeur. Et elle mordit au garrot le poney, inconscient de ce qui lui arrivait. Cela fut fait très vite et sans aucun regret par Luna, totalement possédée par ses pulsions.
"Luna, non !"
Selifós l'empêcha de faire une bêtise. "N'interviens pas, Celestia. Si tu l'interromps, elle pourrait te blesser sans le vouloir. Attends d'abord qu'elle soit rassasiée."
"Tu as transformé Luna en monstre !" blâma-t-elle, emportée par la colère.
"Oh, je t'en prie", dit l'autre indigné et nullement affecté par le tempérament de la jument. "Vampony, c'est déjà bien vexant. Mais monstre... t'exagères. Ta sœur a juste faim. Et il n'y a rien de mal à ça."
"Aucun mal ?" s'indigna-t-elle encore plus. "Elle est en train de le tuer !"
"Elle ne le tuera pas. Il s'en sortira avec une perte considérable de sang, certes, mais il n'en mourra pas. Pas la peine de dramatiser."
Celestia le fixa d'un regard de plus en plus sombre. L'étalon ajouta.
"Une fois que Luna sera repue, on amènera ce poney à l'hôpital si tu veux."
L'alicorne solaire souffla des nasaux. "Qu'est-ce qu'il prouve qu'elle n'est pas en train de le tuer ?"
"La morsure des Skiá n'est jamais létale. Sauf chez ceux ayant déjà des problèmes graves de santé ou chez les poulains, chez qui une perte importante de sang serait inéluctablement fatale. Un Skiá boit en moyenne cinquante centilitres de sang par nuit. Même si ça peut varier : certains étant plus ou moins voraces que d'autre."
"Donc... il va s'en sortir ?"
"Oui", conclut l'expert. "Il va s'en sortir. Avec un peu de chance, ce poney est en très bonne santé. Et il pourra même continuer tranquillement sa vie sans avoir d'anémie. Je le réveillerai et le relâcherai dans la nature quand ce sera fini."
Celestia parvint à relativiser, même si elle était dégoûtée, en entendant les grognements jouissifs de sa petite sœur qui se repaissait sans remord du sang de ce pauvre poney. Elle prévint Selifós qu'elle quittait la chambre, qu'elle ne pouvait plus supporter ce spectacle plus longtemps. Mais lui resta. Il souriait en contemplant les lèvres comblées de Luna, baignées de l'essence rouge de sa victime et collées à la plaie. La joie qu'un loup éprouverait en observant son louveteau déguster dans l'allégresse son premier gigot de mouton.
Une à deux minutes plus tard, Luna cessa le lien avec sa proie, toujours endormie, avec la plaie emblématique des vamponies dans l'encolure, et d'où le sang chaud s'écoula aussitôt. La nouvelle Skiá qui était re-née soupira de volupté et de satisfaction, se léchant les babines d'où suintait encore un peu d'hémoglobine non-ingurgitée. Elle parut beaucoup plus calme et plus stable qu'à son réveil. Et après avoir léché une dernière fois la blessure faite par ses crocs, elle se laissa retomber sur le lit pour se reposer un petit instant, afin de digérer tout le sang doux et sucré qu'elle venait d'absorber. Elle referma très vite ses yeux, avec un sourire repu en coin de lèvre et un dernier gémissement de plaisir.
Maintenant la rage du premier sang passée, Selifós récupéra le poney dans sa magie et le remit sur son dos. Puis il sortit de la chambre où il était accueilli par une Celestia répugnée par ce dont elle était témoin.
"Tu l'as changée en monstre... "
"Luna est en pleine affirmation de son identité : tu devrais être heureuse pour elle", réprimanda vivement Selifós, lui qui ne percevait absolument aucun problème. "Et elle n'est ni un monstre, ni une vampony ! Elle est magnifique ! Traite-la comme la sœur que t'as toujours aimée."
Celestia hocha négativement de la tête. Repensant à la chose qui l'avait visée froidement du regard. Et qui avait mordu un petit poney innocent qui sûrement ne méritait pas ce qu'il avait subi. "Non. Ce n'était pas ma sœur."
"Écoute, Celestia. Elle vient de découvrir qui elle est vraiment. Elle est en train d'accomplir son existence et de trouver les réponses à sa nature. Si t'étais une bonne sœur, tu te réjouirais avec elle."
"Vraiment ?" s'énerva-t-elle. "Tu crois qu'elle se réjouira quand elle reprendra ses moyens ? Et quand elle réalisera qu'elle a mordu un poney et bu son sang ?
"Celestia. Moi aussi la première fois que j'ai bu du sang ça m'a fait très bizarre. Et je n'en étais pas particulièrement réjoui. Et il en sera de même, je pense, pour Luna. Mais avec le temps, elle s'y habituera, et n'en aura plus aucun dégoût à le faire. La plupart des Skiá sont passés par ce sentiment étrange d'être un monstre, mais on s'accepte plus ou moins rapidement."
"Et comme à ton habitude, tu vas me dire qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter ?"
Selifós regarda ailleurs, hochant négativement de la tête, un peu hébété et dépassé par la situation. Mais il devait rester fort pour Luna et l'accompagner. L'avenir ne présageait rien de bon pour elle vu le nombre de détracteurs qui risquaient de se profiler à l'horizon. Et Luna aura besoin qu'on la soutienne. Il ne fallait en aucun cas qu'elle se retrouve toute seule devant autant d'adversité. Il devait être prêt à la protéger à la moindre étincelle. Quant à lui... et bien... il devra assumer ses propres responsabilités.
"Je... je suis déçu par ta réaction, Celestia. Bien que je la comprenne. Mais je me serais imaginé que tu serais heureuse pour Luna qui vient enfin tout juste de comprendre qui elle est au fond d'elle. Je crois que je t'ai surestimée."
"Donne-moi une raison de plus pour te chasser de cette maison", dit-elle, la voix toujours électrisée.
"Nous recherchons tous deux le bonheur de Luna, Celestia. Ne l'oublie pas." Puis il partit en faisant profil bas.
"C'est ça, du balai... " murmurait-elle entre ses dents.
Celestia avait honte. Honte pour plusieurs raisons. Premièrement, elle avait honte d'avoir été aussi passive depuis tout ce temps, et d'avoir laissé Selifós transformer Luna en vampony. Honte de ne pas avoir essayé de la protéger plus énergiquement. Car elle savait que ça ne pourrait que très mal finir. Et le pire ce fut qu'elle le savait depuis le début. Elle s'était voilée naïvement la face. Car elle faisait confiance à lui ainsi qu'à la motivation et l'optimisme de Luna.
Et deuxièmement, elle avait également honte de s'être mise en colère. Après tout... n'était-ce pas la volonté de Luna ? Elle qui voulait faire la paix avec Nightmare Moon ? Elle semblait même de plus en plus sereine et remplie de confiance en soi au fur et à mesure que le rite progressait. Devait-elle croire qu'encore une fois, elle s'était voulue dictatrice sur la vie de sa petite sœur ? Cette haine... et cette peur qui l'animaient... était-elle juste stupide ?
Une dualité se forma dans sa tête et qui bataillait, avec son cœur comme champ de bataille. Selifós avait irrémédiablement raison sur un point. C'était son devoir d'aînée que de soutenir sa petite sœur. Il serait criminel de la rejeter pour ce qu'elle était.
Ce qu'elle était... Cette pensée la fit trembler intérieurement.
À sa surprise, ce qui l'ôta de ses luttes internes, la porte de la chambre s'ouvrit. Et Luna en sortit. Elle était désormais tout aussi grande que sa sœur aînée, le poil aussi sombre que Nightmare Moon, la crinière et la queue beaucoup plus longues, toujours d'un aussi beau bleu éthéré, dans lesquelles scintillaient des étoiles.
Celestia n'était qu'à demi-rassurée en la voyant. Elle avait les yeux de Nightmare Moon, la taille et l'apparence de Nightmare Moon. Mais elle gardait en revanche son sourire bien à elle. Un sourire aimant. Et surtout apaisé. Elle paraissait profondément heureuse et sereine. Elle semblait comme transformée. Autant dans son âme que dans son corps. Elle avait comme... grandi.
"Bonsoir, 'Tia", lui disait-elle la voix gonflée d'amour pour sa sœur.
Cette dernière recula de quelques pas par réflexe alors que Luna s'approchait d'elle. Bien que ce fût elle, ses traits faciaux comme les formes de son corps étaient ceux de son Nightmare. La revoir lui rappelait avec effroi cette nuit traumatisante où elle avait dû bannir sa cadette loin d'elle pour mille ans.
"Pourquoi tu recules ?" questionna Luna, perturbée par le retrait et le visage effrayé de son aînée. "N'aies pas peur, grande sœur. C'est moi", dit-elle dans une douceur à son paroxysme.
Sa voix tendre fit disparaître la peur qui la poussait à garder ses arrières. Sa bouche trembla pour former à son tour un sourire, et elle se précipita sur sa petite sœur pour l'étreindre.
"Lulu. Faust, merci. C'est toi. Tu vas bien."
"Gr... grande sœur... " fit-elle un peu surprise par le retournement de veste de l'alicorne. "Mais. Bien sûr que je vais bien", gloussait-elle légèrement. "À quoi croyais-tu donc ?"
Celestia serra très fort Luna, à présent rassurée. Puis elle se reprit. Elle la balaya une nouvelle fois du regard. De bas en haut, puis de haut en bas. "C'est impressionnant. Tu lui ressembles tellement... "
Luna rit avec légèreté. "Bien sûr que je lui ressemble. Je suis elle. Et elle est moi." Elle passa son sabot sur l'encolure de son aînée. "Aurais-tu peur de nous 'Tia ? Allons, allons... nous ne sommes pas ton ennemie, Nightmare Moon et moi."
"Elle... elle n'est pas mon ennemie ?"
"Mais bien sûr, 'Tia. Rappelle-toi ce que je t'avais raconté l'autre jour. Elle ne t'a jamais vraiment détestée. Cette nuit-là, c'était la nécessité qui avait motivé ton assassinat, pas le sadisme. Elle te voyait juste comme une menace pour nous deux. Je t'assure : elle ne nourrit plus autant de rancune contre toi qu'auparavant. C'est du passé tout ça."
"Je... je suppose que Selifós voulait juste ton bien, finalement", regrettait-elle un peu, en voyant comment Luna semblait heureuse malgré ce qu'elle venait de voir.
"Bien évidemment. Pourquoi m'aurait-il voulu du mal ?" dit-elle avec un léger rire rempli de foi. "Je suis heureuse", ajouta-t-elle, en battant avec légèreté et douceur des ailes, avec la même élégance qu'un papillon sur une fleur. "Je me sens en paix. Si... complète. Et c'est grâce à lui."
Elle fit un grand sourire de félicité, dévoilant toutes ses blanches dents, et ses canines longues et pointues ; avec lesquelles elle avait mordu un poney quelques instants plus tôt. Celestia redevint grave en les voyant.
"Es-tu consciente de ce qu'il a fait ? Et de ce que toi tu as fait ?" lui répondit calmement Celestia, sans hostilité dans la voix, juste pour s'assurer d'une chose.
Luna détourna le regard, arrêtant de sourire. "Oui. Je sais ce que j'ai fait. Mais j'avais tellement faim que... que je ne me contrôlais plus. Et... c'était tellement, je... ce poney... il sentait si bon... tellement bon... je n'ai pas réfléchi une seconde en me jetant sur lui. Et puis son sang... " Elle croisa à nouveau les yeux de sa sœur. "Depuis toujours ça n'avait qu'un goût de ferraille quand je léchais autrefois mes propres cicatrices. Mais là... c'était sucré. Plus doux et plus sucré même que tes pâtisseries, 'Tia. Je... je me culpabilise en assumant que j'ai trouvé ça bon ; après tout... j'ai fait du mal à quelqu'un en agissant de la sorte."
"Tu n'as pas en t'en vouloir, Luna", l'excusa Celestia. "Tu ne pouvais pas te contrôler. Tu étais soumise à « la rage du premier sang », comme Selifós appelle ça."
"Je sais. Il m'en avait parlée récemment. Il m'a averti que ça se produirait."
"Et... vas-tu continuer à... à mordre ?"
Luna soupira dans sa réflexion. "Je l'ignore. Mais là je n'ai pas faim. Je me sens si saturée... si pleine d'énergie que je pourrais courir tout un marathon sans m'essouffler. Je n'ai pas si bien mangé depuis tellement longtemps. Aussi éthiquement discutable soit l'hématophagie, le sang a des vertus très étonnantes une fois consommé. Mais tu as raison grande sœur. Ma faim va me rattraper un moment à un autre. Je vais sûrement recommencer. C'est pourquoi je dois en parler à Selifós. Il y a encore certaines choses qu'il doit m'expliquer. Et puis... tout comme toi... "
"Tout comme moi... ?"
"En buvant du sang, je fais souffrir des poneys. Et je me pose des questions morales. Je me demande s'il ne serait pas possible pour un Skiá de vivre sans boire de sang."
Celestia regarda le plafond. "C'est vrai qu'il n'en a jamais parlé. Le seul truc qu'il m'a dit, et qu'il m'a même répété, c'est qu'il n'y a pas de mal à se nourrir des poneys quand on a faim. Et qu'il n'y a absolument aucun mal à être un prédateur. Je veux bien le croire mais le problème c'est que nous n'avons pas affaire à des animaux, mais des poneys. Et est-ce que même dans ce plan-là il n'y a rien d'éthiquement discutable ?"
Luna sourit. "C'est une question philosophique très intéressante. Mais où est Selifós ?"
"Le poney que tu as mordu", répondit l'autre jument. "Il l'a amené je ne sais où. Peut-être à l'hôpital ou peut-être chez lui. Ou peut-être qu'il le mord à son tour. Aucune idée."
"Très bien. Nous l'attendrons alors. Au fait. Une dernière chose, 'Tia."
"Hm ?"
"Ce qu'il vient de se passer. Ne le raconte surtout pas à Twilight."
"Heu... " Mince alors. Aurait-elle deviné qu'elle faisait régulièrement des rapports à Twilight ?
"Je ne veux pas que, prise de peur, elle vienne renvoyer Selifós au Tartare, sur la lune ou le changer en pierre si elle apprend que je me suis transformée en « vampony »", se justifia-t-elle. "Avec la magie de l'amitié, je sais qu'elle en est parfaitement capable."
Celestia réfléchissait. Il était à présent temps pour elle aussi de faire un choix. Elle n'arrivait pas à anticiper la réaction de Twilight au cas où elle la préviendrait. Car contrairement à elle, la princesse de l'amitié n'était pas témoin par elle-même de l'évolution de Luna au travers du rite qu'elle eut à présent achevé. Et en conséquence, elle était beaucoup plus indécise sur les prétendus bienfaits de Selifós. Surtout qu'elle avait été agressée par ce dernier, et qu'il avait mordu sa protégée.
Elle avait rapidement oublié la colère qu'elle avait crachée au visage de son grand-oncle quand Luna était venue vers elle, souriante et joyeuse. Mais l'incertitude la rongeait encore. On parlait tout de même de mordre des poneys. Et elle avait déjà une petite idée de sa réponse sur le sujet philosophique.
Les poneys n'ont pas à vivre dans la peur de se faire dévorer. Celestia voudrait bien, pour l'amour qu'elle portait à sa sœur, ne pas alerter Twilight d'un quelconque danger vis-à-vis de sa transformation, mais elle savait qu'elle n'aurait pas d'autre choix que de le dire à son ancienne élève si un second buveur de sang menaçait impunément les équestriens. En réalité, tout dépendra de ce que fera Luna, et de ce que dira Selifós.
S'il convainc Luna qu'il n'y a aucun mal à mordre des poneys et à boire leur sang, et qu'il le lui encourage... il n'y aura alors plus qu'une chose à faire. Et cette chose sera exécutée à contrecœur.