L'usine
Six heures, beaucoup trop tôt pour qu’un pégase se lève. C’est contraint par une sonnerie stridente qu’une patte bleue sortait paresseusement d’un duvet et tâtonnait à l’aveugle alors qu’elle cherchait à saisir l’objet inopportun qui provoquait l’ire de son propriétaire. Après plusieurs secondes et une tasse tombée de la table de nuit que le smartphone fut attrapé et ramener sous la couette, une voix étouffée d’un poney mal réveillé et un peu bougon y répondit.
— Oui, Hestern, j’écoute ?
L’écran indiquait un numéro inconnu, de ce fait et malgré l’heure matinale mieux valait rester un minimum courtois.
— Monsieur Haste ? Excusez-moi de vous déranger. Shiny Ruby des E. E. de Brightwood.
D’accord c’était un appel en rapport avec les Explorateurs Equestriens. Il sortit de son lit en cherchant pourquoi une exploratrice l’appelait depuis le village des licornes, ce n’était jamais bon signe. Il la rassura et l’invita à lui expliquer ce qui la pressait pour appeler à 6 h.
— Vraiment désolée de vous avoir réveillé, je ne me suis pas rendu compte qu’il était si tôt. J’étais plongée dans mes recherches et j’ai trouvé de vieilles archives, elle vienne d’un journal qui annonçait la fermeture d’une grande usine qui devrait être à deux jours de vol de Zephyr Heights
La théière de Hestern atteignit la bonne température et un sachet de thé libéra ses arômes alors que le poney tentait de comprendre pourquoi on lui téléphonait, avec de la chance une tasse de thé l’aiderait à se concentrer. Il se posait quand même un certain nombre de questions, avait-il oublié de regarder ses messages privés hier soir ? C’était possible. Mais pourquoi une exploratrice de Brightwood l’appelait ? Normalement quiconque découvrait un nouveau lieu alertait ses amis et tous partaient en expédition ensemble. Il y avait clairement quelque chose de bizarre, mais il n’arrivait pas à mettre le sabot dessus et tant qu’il n’aurait pas bu son thé il aurait de la peine à réfléchir correctement. Au moins que… Une mission de sauvetage ? Ses amis étaient partis pour le lieu et n’avaient pas donné de signe de vie ? Ah non… elle venait de faire la découverte… C’était rassurant. En attendant, elle continuait de raconter le cheminement de ses recherches…
— Madame Ruby, je m’excuse de vous interrompre, mais il est tôt et même si j’apprécie les détails de vos recherches pouvez-vous aller à l’essentiel me dire pourquoi cet appel, j’ai beaucoup de peine à vous suivre au saut du lit.
Il y eut un moment de silence et Hestern eut l’impression d’avoir froissé son interlocutrice. Si cette Shiny Ruby était ce que l’on nommait dans les explorateurs « une Enquêtrice », elle pouvait trouver très malvenu de mettre ses efforts au second rang.
— J’y arrivais… En fait je suis nouvelle et je n’ai pas encore de groupe… et vu l’ancienneté du document je n’ose pas trop aller seule sur place… J’ai vu votre numéro sur le forum et vu que vous avez plus d’expérience je me suis dit ça aurait pu vous intéresser…
La fin de la phrase ressemblait plus à un murmure. Hestern, touché, lui répondit quelques paroles pour essayer de la réconforter et la remercier. Les nouveaux bâtiments se faisaient rares, avec l’approche de l’été, les explorateurs profitaient du printemps pour aller enquêter, ainsi avoir une nouvelle lui téléphoner pour lui donner une adresse était une agréable surprise. Il s’excusa une nouvelle fois de sa rudesse et accepta qu’elle lui envoie de quoi se faire une idée de la destination avant de la rappeler. Bien sûr, s’il était intéressé il la rajouterait dans le rapport final d’expédition.
La licorne rassurée et encore plus surexcitée raccrocha et Hestern eut à peine le temps de finir son thé que son smartphone vibra pour annoncer l’arrivée d’un message. La licorne avait fait vite. Mais il était toujours trop tôt, le soleil peinait à se lever et il retourna sous sa couette pour quelques dizaines de minutes de repos supplémentaire. Le réveil ne tarda pas à sonner, la radio souhaita un excellent début de journée à tous les habitants d’Equestria et cette fois-ci Hestern accepta de quitter son lit pour de bon. Le soleil avait finalement franchi l’horizon et depuis sa fenêtre il put observer Zephyr Heights se teindre d’or. Il habitait la ville des pégases depuis sa tendre enfance, les immenses gratte-ciels de verre prenaient chaque jour des teintes solaires le matin et le soir et malgré ses 30 ans il ne s’était jamais lassé de voir ce spectacle même s’il était un peu gâché par les gigantesques écrans publicitaires qui s’allumaient pour afficher les messages du jour. Les premières informations et la météo d'aujourd’hui, légère pluie en début d’après-midi, mais un ciel dégager le soir et demain.
Voilà qui annonçait une bonne journée. Le poney bleuet étira ses pattes et le dos avant de déployer ses ailes et les faire battre dans le vide, une plume tomba délicatement au sol, mais il n’y avait rien d’alarmant, toutes les autres se présentaient propres et alignées, du moins ce qu’en montrait le miroir. Un fin pégase a la robe bleu gris, une crinière brune agrémentée d’une mèche grenat et finalement ses ailes aux plumes multicolores qui caractérisaient la race des pégases qu’il représentait. Hestern attrapa une brosse et remit un peu d’ordre dans sa crinière et sa queue ainsi que sa robe, il avait encore bougé dans la nuit et quelques mèches rebelles en avaient profité pour tenter de prendre leur indépendance. Le pégase se dit qu’il faudrait qu’il trouve un moyen pour les mater.
Dehors les premiers habitants prenaient leur envol pour débuter leur journée. Journalistes, travailleurs, maîtres de vol, professeurs, vendeurs et tout métier qui faisait de Zephyr Heights une ville vivante commençaient à se presser alors que les quelques gardes de nuit allaient chercher un repos mérité. Parmi tous ces poneys volants Hestern pensa à son ami qui était hors de la ville occupé à travailler son champ, un des rares pégases fermiers qui passait sa vie sur terre et il se dit qu’il avait de la chance de travailler dans le journal de la ville. Le travail n’était pas passionnant au début. La reine de la ville avait la main mise sur les médias, mais depuis cette affaire de magie et le retour il y avait beaucoup plus d’informations à traiter et cela impliquait deux choses, beaucoup plus de sujets passionnants et surtout des heures supplémentaires. Il y avait même eu la sortie de nouvelles émissions telles que les soirées crash. Le regroupement de pleins de pégases équipés d’un smartphone filmant leur vol avait permis l’émergence de cette nouvelle soirée à thème aussi drôle que douloureuse.
Pleinement réveillé, le pégase partit à son travail, arrivant juste à l’heure, posé sur son bureau face à son écran il rassembla et vérifia toutes les informations du jour, passa de nombreux coups de fil, mais son travail était parasité par le message de la licorne qui laissait une petite pastille rouge sur ses messages privés. Il fut moins productif peu après avoir cédé à sa curiosité, la licorne avait eu un vrai coup de chance de tomber sur un tel trésor, un article de journal extrêmement vieux au point que la datation ne lui disait rien du tout. On voyait juste une image d’une immense usine et de quoi imaginer sa position… et au vu des cartes d’aujourd’hui cela impliquait d’aller un peu plus loin que ce qui était découvert. C’était quelque chose ! Il avait beau être dans les explorateurs depuis leur début, il avait rarement été si loin sur la carte. Il répondit à Shiny Ruby qu’il était très intéressé et allait proposer l’exploration à ses camarades en fin de journée. La licorne surexcitée répondit dans la minute par un émoji festif.
Loin de l’agitation de la ville, un pégase noir comme la suie s’essuyait le front avec un chiffon avant de rajuster son chapeau de cowboy tout aussi noir. Seuls ses sabots se démarquaient, tachés par la boue. Il remit sa crinière blanche à sa place et observa la terre de ses yeux couleur glace qui fixaient le champ de blé fraîchement récolté. Ici dans la ferme des Oak Leaf, c’était le travail manuel et rien d’autre, avec sa famille il fournissait une partie de la nourriture pour la ville. Le reste était assuré par cinq autres fermes et tous se connaissaient bien, d'ailleurs il avait été très heureux de pouvoir demander un peu d’aide pour finir le champ avant le crépuscule, ça avait été une bonne journée si on oubliait un petit détail.
— Non ! Je ne suis PAS INTÉRESSÉ PAR VOTRE MACHINE À CRÊPES ! Hurla le pégase après avoir décroché.
— D-Doucement Black… c’est Hes… Attends… t’as encore des problèmes avec les vendeurs?
— Ho ! c’est toi Hest… Ouais, plein de vendeurs aujourd’hui… Promis la prochaine fois j’enterre ce maudit smartphone ! Bon t’appelles pour quoi ? Tu veux commander du foin ?
— Ah nan, j’ai une offre pour toi.
— Fais gaffe, les gens qui me disent avoir une offre je leur raccroche au museau.
— Ça, c’est une offre que tu ne peux refuser. J’ai un lieu hors map à aller explorer.
Black en fut bouche bée. Une exploration était la dernière surprise de la journée. Il questionna son ami sur les détails, mais Hestern n’avait pas eu le temps de faire beaucoup plus de recherche et les résultats avaient été maigres… très maigres même. S’il voulait partir, ce serait une expédition presque à l’aveugle. Black nota tout de même que malgré l’excitation de son camarade sa voix s’était montrée moins assurée sur cette dernière partie. Le courage de son camarade semblait toujours tenu par cette petite peur d’un éventuel désastre. Il fallait le bousculer un peu.
— Très bien, on part vendredi !
Un bruit étranglé se fit entendre à l’autre bout du fil suivi d’une quinte de toux, à croire que son ami bleu n’arrêtait jamais de boire du thé. Au moins ça avait réussi à le faire penser à autre chose. Les préparatifs par exemple, même s’il se demandait si son frère allait pouvoir gérer la ferme sans lui quelques jours. Il verrait bien à son retour et au pire ça lui donnerait une bonne raison de le motiver à coup de sabot dans la croupe. Il partit dans la vieille maison familiale en sifflotant un vieil air. Il fallait prévenir la famille et surtout ressortir le matériel. Peut-être, demander à Hestern une copie de la liste de matos à prendre ?
De son côté le pégase journaliste était occupé à nettoyer la flaque de thé qu’il avait renversé, maudissant Black Dark de l’avoir pris ainsi par surprise. Une semaine pour préparer une expédition ! Mais il était fou !? Il avait réussi à prévenir son supérieur qu’il serait absent une partie de la semaine prochaine. Encore heureux que le groupe des explorateurs était reconnu d’utilité publique, ça facilitait les choses pour la vie professionnelle et on obtenait plus facilement des dérogations ainsi que des congés. Par contre où était passée sa liste de matériel d’excursion personnalisée ? Il n’allait pas utiliser celle du manuel qui était aussi vague qu’incomplète lorsque l’on était un explorateur un tant soit peu chevronné ! Et zut… déjà il manquait de la nourriture, il lui faudrait faire des rations jeudi… Et où était passée sa boussole avec la carte !? Peut-être encore dans les sacoches ? Ah oui, en même temps il n’en avait jamais besoin pour autre chose.
La semaine fut bien remplie, la soirée fut consacrée à une vidéoconférence pour se mettre d’accord sur la logistique de leur excursion, l’heure de départ et s’il fallait démarcher un explorateur secouriste ou même un spécialiste en survie supplémentaire. Mais après délibération ils avaient suffisamment confiance en leurs propres capacités et le matériel de premiers secours pour pouvoir gérer la plupart des situations. Ce serait donc une mission à deux, Shiny Ruby avait réaffirmé son envie de rester chez elle tant qu’on la citait dans le rapport. Ensuite chacun avait sa petite liste personnelle, Hestern renvoya une nouvelle fois une copie de la liste de Black et tous les deux convinrent qu’un petit extra de préparation serait le bienvenu.
Vendredi tout était prêt. Hestern s’était présenté à l’avance au sommet d’un des gratte-ciels en périphérie de la ville. Un vent chaud d’Est venait caresser la robe du pégase, cela augurait une journée parfaite pour leur trajet qui devait les mener au Nord-Ouest. Pour changer le pégase journaliste avait pris la décision de porter une petite chemise verte équipée de quelques poches, il allait devoir guider leur petite expédition ainsi avoir la carte et la boussole à portée serait une bonne idée sans oublier de tenir un peu plus chaud. Il refit ses calculs et se remémora leur itinéraire si concentré qu’il n’entendit pas Black arriver avec ses affaires.
— Youhou, tu dors ? Suis là. On fait le transfert ou on bronze ?
— Ho oui, oui… Cette fois j’ai un peu plus de matériel, dis-moi si ça fait trop.
Une partie du matériel migra des sacoches d’Hestern à celle de Black. Taillé comme une montagne de muscle et endurant comme seuls les métiers de la terre pouvaient forger, il avait pris l’habitude de porter les plus lourdes charges. Ainsi le sac de couchage et quelques matériels vidéo vinrent charger le pégase noir.
— Pfeu ! Le jour où tu me chargeras trop, tu auras embarqué une de ces fichues paraboles de télé ! Allez, je suis prêt. T’as bien pris les insignes ?
Comme réponse, Hestern sortit de son sac trois petites pièces d’aluminium représentant trois poneys explorateurs. À gauche un terrestre tenant des jumelles, au centre un pégase doté d’un appareil photo et à droite une licorne tenant une carte. Les trois reposaient sur une rose des vents cerclée. Ainsi était l’insigne des explorateurs et là où ils exploraient, ils laissaient toujours cet insigne sur place et ils possédaient le même sur leurs sacoches.
Ils vérifièrent leurs matériels une dernière fois et tous les deux rassurés prirent leur envol, il était 13 h juste avant que les vents chauds de la région ne viennent gonfler les ailes des deux camarades et ne leur permettent de naviguer tranquillement et avec le minimum d’effort. Il fallait savoir s’économiser si l’on souhaitait voyager pour ensuite explorer. Là c’était un peu différent, au vu de la distance il risquait d’avoir une vingtaine d’heures de vol, la météo annonçait une certaine clémence, mais il leur faudrait un peu de repos avant de passer aux choses sérieuses. Ainsi chaque détail avait son importance, suivre les bons vents malgré leur manque d’expérience pour les reconnaitre. Éviter de se crasher en cas d’erreur, tel était le voyage de ces deux explorateurs pourtant chevronnés, mais voler aussi loin, chargés et en si peu d’étapes étaient presque une première. Mais le plaisir du vol en valait la peine, slalomer entre les nuages, frôler cette surface cotonneuse du bout des ailes ou encore mieux se faire un petit en-cas sur l’un des plus gros n’avait pas son pareil ! Il fut même décidé de transformer un de ces gros moutons du ciel en abris de fortune lorsque la nuit régnait en maitre depuis plusieurs heures et que les ailes demandaient un repos bien mérité.
— Franchement t’es pas endurant Hest ! Le jugea Black qui se sentait encore en pleine forme alors que son camarade était en rupture, reprenant son souffle alors qu’il tentait de former un iglou de fortune.
— J’ai pas ta force et ton endurance, pour ça aussi que je préfère largement les métiers techniques et d’esprit.
— Boarf, tu verras tu fais ça tous les jours et dans un mois tu seras le meilleur voltigeur d’Equestria.
La remarque arracha un sourire à Hestern qui lui répondit qu’à ce rythme dans un mois il n’aurait tout simplement plus d’ailes. Mais il était vrai que l’on pouvait se demander comment lui un gratte papier avait bien pu décider de rejoindre les explorateurs et être autre chose qu’un enquêteur. Il était simplement expert ailleurs et son ami Black n’avait aucun doute sur les compétences de son ami même si le fait de devoir s’arrêter en voyage l’exaspérait un peu.
La nuit se passa sans soucis, les deux pégases tenus au chaud par une couverture et leur aile purent repartirent le lendemain en suivant un itinéraire approximatif. Le nuage avait dérivé dans la nuit et par chance il n’était pas hors de la carte ainsi après quelques relevés ils avaient pu estimer leur position et reprendre la route avec un vent latéral. Heureusement tous les deux avaient pu récupérer correctement.
— Bon… c’est officiel on est hors des sentiers battus.
Le pégase sortit sa boussole, un crayon et une feuille pour prendre quelques instants et tenter un croquis de carte. De grandes plaines se dessinaient en face d’eux et au loin des montagnes étaient visibles avec leur sommet couvert de neige. Il laisserait l’honneur aux alpinistes de nommer ces sommets et aux cartographes de faire leur travail. Ce qui l'intéressait était une zone remplie de collines qui devait être non loin. Malheureusement trouver un bâtiment aussi grand qu’une usine se révéla bien plus compliqué qu’attendu. Les nuages se teintaient de noir et leur vol commença à s’alourdir avec l’humidité ambiante, ils étaient dans un début de dépression et le temps ne semblait pas s’arranger, ils devaient vite trouver un abri avant que la pluie ne gâche leur journée.
— C’est là ! Hurla black alors qu’une bourrasque venait gifler les deux pégases.
À gauche sur l’horizon se dressait une petite structure qui se détachait à peine de l’herbe verte. Sans attendre, Hestern hurla de virer droit dessus alors que les premières gouttes venaient mouiller son museau, le temps se dégradait à une vitesse ahurissante. Hestern et Black survolèrent rapidement la zone, car la pluie commençait à s’intensifier et Hestern avait reconnu la formation d’un violent orage, leur vol devenait chaotique et pénible à cause des bourrasques sans oublier que le ciel grondait. Ils décidèrent de ne pas s’intéresser au mur extérieur ni aux dépendances dans la cour, mais foncèrent droit à l’entrée du bâtiment principal, la pluie était désormais battante et réduisait leur visibilité à une dizaine de mètres. Celui-ci était clairement vétuste et attaqué par les plantes grimpantes. Tous les deux espérèrent que la porte était en bois et tombait en lambeaux, mais à la place se trouvaient deux magnifiques panneaux métalliques qui faisaient office d’entrée et fermés à clef.
Black sortit de ses affaires un pied de biche sous le regard ahuri de son ami et attaqua le métal qui résistait. Il s’acharna dessus pendent ce qui semblait être une éternité, mais se révéla finalement n’être que quelques secondes avant que Hestern ne le tire en arrière et ne lui hurle aux oreilles pour se faire entendre malgré le vent tourbillonnant.
— ON REMONTE ! LE TOIT ÉTAIT EFFONDRÉ !
Voler était risqué avec les bourrasques, les deux pégases remontèrent dans le ciel à la hauteur du toit, garder le contrôle était compliqué ne serait-ce que pour attendre des cheminées en ruine, dans leur chute les grandes structurent avaient fait s’effondrer la superstructure et ouvert la voie. Trop heureux de pouvoir se mettre à l’abri les deux plongèrent dans cette direction, s’esquintant pour l’un deux une patte en frôlant de trop près un bord.
Ne prêtant pas attention à leur environnement, ils ouvrirent la première porte et s’engouffrèrent dans le bâtiment pour fuir la pluie qui était désormais drue.
— Pouah ! Quelle idée d’aller en expédition en plein orage ! maugréa Black.
— Je t’assure c’était pas au programme… enfin… on n’a pas la météo d’ici… au moins on est au sec maintenant non ? tenta de rassurer Hestern en s’ébrouant pour chasser l’eau de son pelage.
Les deux désormais au sec se penchèrent vers une rambarde rouillée et purent contempler la grande salle principale, des dizaines de vieilles machines reliées par des tapis roulants encombraient le passage et aucun deux n’avait la moindre idée de ce à quoi elles servaient. Une chose était sûre, c’était vieux, rouillé et très intéressant.
Mais avant toute chose ils devaient monter le campement, il était près de 18 h, tous les deux étaient trempés et du matériel devait être vérifié. Par chance un rapide tour leur donna une bonne perception du bâtiment et une cafétéria située au rez-de-chaussée se transforma vite en lieu de vie. Les cuisines étaient hors d’usage et rien qu’en les voyant l’idée même d’utiliser la cuisinière prit la fuite. Mais les tables une fois mises de côté permirent d’installer la petite tente pliable que Black transportait et Hestern s’arrangea pour ordonner leurs affaires et installer sa couchette avant de se cloitrer pour vérifier son matériel. C’était après tout le préposé au matériel photo et d’enregistrement. Ses sacs étaient étanchéifiés, mais mieux valait s’assurer que tout était bien resté au sec, malheureusement il ne pouvait pas tout protéger, la carte par exemple. Leur précieux outil de voyage avait légèrement pris l’eau et même si elle était résistance il fallait vite la sécher.
— Je pense que si on ramasse quelques morceaux de plante grimpante, allumons un feu en ouvrant une fenêtre ça pourrait le faire…
— Un feu dans une cafétéria d’usine désaffectée. T’as des idées de merde parfois… Mais bon, je suis pas contre un peu de chaleur, si tu arrives à ouvrir une fenêtre je veux bien faire un petit feu… Répondit Black. Il ne voulait pas l’avouer, mais il sentait le froid l’étreindre et ses oreilles grelotaient presque de froid.
Heureusement Hestern avait avec lui sa petite trousse de matériel, plutôt prévue pour forcer de vieille serrure il avait quelques tournevis pour plier du métal ou du bois. Ainsi une fenêtre grippée perdue au fond de la pièce ne tarda pas à geindre en tournant sur ses gonds rouillés après que le pégase à la crinière brune ne se soit évertué à démonter un vieux système.
— Bha bravo, j’espère que tu pourras la refermer, il va faire froid la nuit. Grommela Black qui devait aller chercher de quoi faire un feu.
— On aura un feu et au pire j’ai de la cordelette dans mon sac…
Peu convaincu, Black se leva une fois son sabot désinfecté et fit un tour de la pièce, comme une bonne partie de l’usine les murs avaient été envahis de lierre et de petites plantes, au fil des saisons certaines avait séché et leurs restes gisaient au sol. C’était déjà ça, peut-être pas de quoi tenir toute la nuit, mais au moins se réchauffer, se sécher et faire un peu de cuisine. Les premières flammes obtenues avec l’aide du briquet et d’allume-feu offrirent un réconfort bienvenu aux deux pégases. Black put faire revenir une sorte de soupe compacte à base de céréales alors que Hestern avait plutôt dépensé quelques pièces pour s’acheter de la nourriture déshydratée qu’il avait pu préparer.
— Faudra aller recharger l’eau… Hecht… Profichter de la pluie. Mâchonna Black.
Dans un soupir le pégase bleuet se leva, attrapa les quatre gourdes et partit mettre les récipients à l’extérieur, profitant de l’ouverture de la fenêtre et se disant que la pluie les remplirait surement.
Satisfait après s’être assuré que le vent ne les renverserait pas, il vint se reposer au coin du feu en grelotant et se contenta d’observer la flamme, demain allait être une longue journée, personne ne voulait aller dormir maintenant alors que la tempête grondait et que les éclairs frappaient au loin.
Le bon point lorsque l’on est explorateur en aventure, est qu’il n’y a pas de réveil à l’exception de celui qui se lève en premier et peut donc secouer son camarade. Entre Hestern et Black, s’était toujours le second qui devait réveiller le journaliste pelotonné dans son sac de couchage triple couche. Les deux firent alors un petit déjeuner à base de fruits secs, mais aucun des deux n’avait vraiment le moral. Pour cause la tempête ne s’était pas calmée, le vent sifflait dans le bâtiment. Avec de la chance elle se serait dissipée demain, mais si ce n’était pas le cas il faudrait commencer à compter la nourriture, tous les deux avaient un excédent d’un jour et demi, mais mieux valait être prudent.
Ils sursautèrent quand un éclair frappa non loin, la tempête était sur eux. Hestern voulant rompre le silence après avoir englouti une barre de céréale expliqua à Black qu’au vu de l’orage, faire une vidéo était une perte de temps à cause du son. Ils allaient retourner à la bonne vieille photo. Le pégase noir n’en avait pas grand-chose à faire, mais expliqua que si c'était une invitation à aller explorer il voulait commencer par forcer la porte principale.
Tous deux sortir de leur campement à regret, les couvertures chaudes avaient offert un doux refuge loin de la pluie, le contenu des gourdes avait été bouilli pour éviter de mauvaise surprise et ainsi ils prirent la direction de la grande salle, lampe de poche au sabot, les nuages avaient fortement fait baisser la luminosité.
Black avait repris ses sacoches et déjà sorti son pied de biche. Il avait une affaire à régler avec cette porte qui lui avait tenu tête hier soir. Ainsi sous l’objectif de son camarade qui prenait des photos à la fois pour le souvenir de voir son ami s’arc-bouter et pour le rapport de leur expédition, il fit de son mieux pour tordre au minimum le métal avant d’entendre les gonds gentiment pivoter à contrecœur. Un vent cinglant les récompensa et Black s’empressa de repousser les battants.
— Ça, c’est fait ! Si on doit sortir en urgence la grande porte est ouverte !
Un hochement de Hestern qui était occupé à remettre sa crinière en place le conforta dans ses dires et à poursuivre l’exploration. Et ce pied de biche fut bien plus utile que prévu ! Les machines en elle-même n’avaient rien à apprendre, la tempête extérieure donnant juste un aspect encore plus sordide aux photos de son camarade. Mais les caisses qui étaient autour semblaient juste attendre la première brute prête à forcer leur couvercle.
— Alors il y a quoi dedans ? demanda Hestern un œil dans l’objectif.
La caisse craqua sous l’effort et Black pressa de toute sa force pour faire lâcher les derniers clous.
Le couvercle sauta littéralement et Black en première loge reçut de plein fouet un coup sous le menton ! Hestern à distance sentit quelque chose le frôler à plusieurs reprises et glissa en tentant de reculer, se ramassant au sol à cause de son réflexe pour sauver l’appareil. Paniqués, les deux amis restèrent tétaniser alors que de la boite sortait des formes sombres et indistinctes qui retombait tout autour d’eux et parfois sur leur tête pour leur arracher un léger « aie ».
— Mais c’est quoi ça ?!
Occuper à se masser le menton et la tête Black reprit son outil en métal et tapota du bout une de ces formes noires qui trainait au sol. Elle était inerte comme du chiffon. Un clic retentit qui fit se dresser les oreilles du pégase noir, mais ce n’était que l’appareil de son ami qui prenait la scène en photo. Il décida de tenter le tout pour le tout, la chose noire et informe semblait inconsciente. Il donna quelques petits coups dessus et elle résista au choc. Il fallait la tourner pour comprendre ce que c’était ! D’un geste assuré il passa le pied de biche dessous et la souleva pour la retourner telle une crêpe laissant apparaître un visage terrifiant et sans vie. Peint.
— Ah bah putain ! s’exclama Hestern en approchant et ramassant la forme. C’est juste un fantôme en tissus monté sur un ressort !
Il mit l’objet à l’envers, dévoilant le long ressort graissé et la petite tête en caoutchouc. Puis ils éclatèrent de rire malgré l’orage extérieur. C’était un rire nerveux, mais ils s’étaient fait avoir comme des bleus sur le coup.
Ils repartirent à la conquête de l’usine, ouvrant les boites et photographiant leur contenu si celui-ci ne leur sautait pas à la figure. Ainsi pèle mêle se trouvaient des coussins péteur que le temps avait rendus inopérants, des serpentins collés par l’humidité, des ballons de toute forme dans leur emballage sans oublier des battes à pinata creuse qui contenait des bonbons que Hestern refusa poliment de gouter. Ils avaient fait le tour de la salle et faute de trouver autre chose partirent vers une salle arrière. À peine la porte fut ouverte qu’ils reçurent du vent en pleine face et de l’eau vint les asperger. Peu importe ce qu’était ce lieu ! Il était condamné et une partie du mur s’était effondrée, laissant le tout grand ouvert !
L’heure du repas approchait et ainsi fut la pause, remontant à leur campement ils en profitèrent pour refaire un feu avec le bois des caisses tout en conservant une partie pour la nuit. C’était d’ailleurs un excellent moment pour faire un point.
— Alors… pour twa ch’est quoi ce lieu ? demanda Hestern en avalant ses lentilles lyophilisées.
— Une sorte de lieu pour des farces et attrape ? C’est démodé donc pas étonnant que ce soit en ruine.
— On est d’accord, mais bon… ça à l’air sacrément vieux. Je m’attendrais plus à des gadgets que des vieux ressorts et des coussins péteur.
— C’est Ruby qui avait dit que c’était super vieux, on ne reconnaissait même pas la date sur son bout de journal ! Franchement, on appelle ça "la fabrique à surprises" et fini !
La conclusion était un peu abrupte, mais c’était pourtant le plus commun, une usine qui n’innove pas ferme souvent ses portes. Hestern le savait très bien à force d’avoir écrit des articles sur le sujet pour son journal. Mais il ne fallait pas sauter aux conclusions, ils étaient là pour explorer et trouver la vérité faisait partie de l’aventure, ils étaient arrivés par un bureau en ruine, peut-être que d’autres allaient leur donner une réponse. De toute manière il n’y avait rien d’autre à faire, la tempête s’était un peu calmée, mais il continuait de pleuvoir tellement fort que l’eau parvenait à s’infiltrer dans certaine faiblesse faisant tomber des goutes autour des deux poneys.
Black qui n’avait aucune envie d’attendre força une nouvelle fois le passage pour découvrir un petit secrétaire entouré de feuilles mangées par l’humidité. La chaise derrière s’était retrouvée végétalisée par le lierre de la cafétéria en dessous qui s’était frayé un chemin jusqu’ici et essayait désormais de faire du bureau un nouvel élément à sa collection de meubles.
Les bibliothèques et autres lieux de rangement avaient quant à eux pourri, à peine l’odeur de champignon était arrivée au museau de Hestern qu’il avait ordonné de sortir d’ici, finir aux urgences pour des bouts de papier n’était clairement pas une bonne idée. Il ne restait plus qu’une porte à ouvrir, leur lieu d’arrivée avait été écarté de la visite à cause de trou béant qu’avait causé la chute de la cheminée. Une nouvelle fois la porte fut forcée, mais le bureau semblait avoir résisté aux affres de la météo extérieure, le tapis était un peu humide, mais sans plus. Aucune odeur suspecte ni lierre invasif. Une aubaine !
Les deux commencèrent une recherche active, le temps filait et pour la première fois les informations étaient à peu près exploitables, des livrets de compte, des bons de commande (du moins le pensait-il faute d’arriver à lire parfaitement l’ancien poney). C’était le rêve de tout archéologue ! Tout était resté en place, les vieilles plumes, des encriers secs, une machine à écrire et même un vieux cousin péteur qui avait été caché sous le coussin de la chaise.
— Là… Black, regarde un double en parfait état de l’article qu’à retrouver Ruby !
Le pégase feuilleta avec délicatesse les pages, l’ancien poney était lisible, car ressemblant au poney commun, mais il fallait y consacrer des efforts malgré les caractères d’imprimerie.
— Fa… Failli… te… Sa… Sandwi… Che… comprit Hestern après quelques minutes à lire à la lueur d’une lampe.
— Y a pas de sandwich ici Hestern ! Tu déconnes !
— Ouais… t’as raison… des trucs importants de ton côté ?
— Une armoire fermée… je la force ?
Hestern calma son ami devenu maniaque de son pied de biche. La serrure était ancienne et en bon état, il allait peut-être pouvoir y aller plus doucement.
— Rho allez, je force des portes depuis hier… implora le pégase noir.
— Il y a une différence entre se frayer un chemin et vandaliser Black…
Bougon, il attendit que son camarade sorte son équipement, les petits crochets partirent explorer l’ancienne serrure et après quelques longues minutes le loquet se retira.
— Voilà, comme ça tout reste en état ! Je pourrais même refermer si besoin !
Et il ouvrit l’armoire.
Sous les yeux interloqués des deux explorateurs se trouvait une collection de photos représentant une famille avec une terrestre rose flashy et un étalon jaune portant un poncho. Il y avait aussi des poulains, probablement leurs fils ou leurs filles. Puis d’autres ou leurs enfants étaient en tenue de mariage, presque un petit arbre généalogique de souvenirs. Hestern prit soin de tout photographier, mais ils restaient tous les deux interdits face à des objets qui trônait fièrement sur des coussins. Trois poulets en caoutchouc portant les numéros 2, 3 et 4…
— Heu… on en fait quoi de ça Hest ? demanda Black perplexe.
— Aucune idée… suis même pas sur de vouloir les ramener en trophée… même un musée n’en voudrait pas.
En effet, les poulets de plastique étaient d’excellents témoins de leur sortie réussie, mais ils avaient été conservés avec beaucoup trop de soins pour que les déranger ne semblât pas être un sacrilège.
— Je vais chercher un de ces fantômes à ressort… trancha Black. Referme ça et on va se coucher !
— T’as bien raison… vais faire pareil. Et Hestern ferma l’armoire.
Le lendemain. Les deux explorateurs se levèrent dans un silence rassurant. Le vent ne soufflait plus, le soleil masqué par quelques nuages blancs. Les sacs furent refaits sans se presser, les photographies vérifiées et finalement ils sortirent par la porte principale. L’air était frais et humide et promettait des jours de beau temps. Ils firent un rapide tour des halls extérieur qui étaient vides, la zone avait été explorée ils pouvaient partir.
— Oh ! Un instant !
Hestern fila vers l’entrée puis au niveau d’un grand grillage qui aurait dû être un moyen de passer le mur extérieur pour déposer un insigne des explorateurs. L’expédition était officiellement terminée.
Le retour se fit avec un certain soulagement, ils étaient plus lents et calme. Après deux longues journées, ils arrivèrent chez Hestern. L’appartement du pégase un peu désordonné par les préparatifs accueillit les deux explorateurs dans un doux cocon de chaleur. Ils prirent une douche rapide et appelèrent Shiny Ruby pour lui annoncer que l’expédition s’était bien déroulée.
— Bon… Comme d’hab Hest, tu postes le rapport d’exploration et j’appelle le musée et les cartographes pour qu’ils prennent le relai ?
— Ouais, on fait ça. J’écris ça demain… là j’ai juste envie d’un bon thé.
Merci d'avoir lu ma première nouvelle !
J'espère que tu as aimé la lire :D