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Partie

Ma sœur.

Je lève les yeux vers toi.

Tu es là-haut. Ton visage me regarde d'un œil accusateur. Mes yeux, eux, pleurent. Qu'as-tu fais...? Qu'ai-je fais...?

Je reste là, à te regarder, mon cœur refusant la vérité, refusant la réalité de nos actes. Cette lune que tu as refusé de coucher porte désormais la trace de cette terrible mésentente.

Mais il est temps... Le soleil doit se lever. La lune doit se coucher. C'est ce qu'Equestria attend. Est-ce là ma punition ? Alors que je comprends à peine que tu es partie, je dois déjà endosser ton rôle en plus du mien ? Toi qui m'a blâmée de voler tout ce qui te revenait, voilà que je vole ce pour quoi le peuple te connaissait...

Ton visage passe sous l'horizon. Un nouveau couché de lune sur Equestria. Un nouveau levé de soleil. Mais sa chaleur n'atteint pas mon corps, ne perce pas jusqu'à mon cœur, ne sèche pas mes larmes. Oh, ma sœur...

 

***

 

Ils sont là. Nos sujets. Devant moi. Ils ne comprennent pas, ils me posent des questions sur ce qu'il s'est passé.

Je réponds. Je l'explique, le drame de ton cœur, l'indécence de mon ignorance, la réponse de ta douleur. Mais ce n'est pas ce qu'ils entendent. Eux y voient de l'arrogance, de la folie, de l'insolence. Ils ont peur. Ils me remercient. Ils me proclament sauveuse d'Equestria, seule régente légitime.

Pourquoi font-ils cela ? Qu'ai-je mal dit ? Qu'ai-je mal expliqué ? Pourquoi suis-je la seule à te pleurer ?

Est-ce donc là l'étendue de mon ignorance ? Ai-je été si aveugle ? À quel point ma lumière a-t-elle éclipsé ta nuit ? Est-ce pour cela que je ne vois que de l'indifférence dans leur regard, quand je leur parle de ta punition si dure ? Et que la seule compassion qu'ils ont est pour moi ?

Ma sœur... Je règne maintenant seule. Equestria attend mes décisions. Mais ils agissent comme si rien ne s'était passé. Je régnais le jour et il n'y avait personne sur qui régner la nuit, alors cela ne change rien pour eux. Ils ne s'en rendent pas compte.

Je reçois les dignitaires des grandes villes. Nous discutons de ton départ et ils arrivent à cette même conclusion. Leur seul soucis est celui des rêves, mais une licorne propose de s'occuper des risques de cauchemars par magie. Il y voit une opportunité d'affaire.

Je n'en crois pas mes oreilles, ni mes yeux, ni mon cœur. Voilà ce que ta disparition représente pour eux. Toute la journée, voilà ce que j'ai entendu. Alors que mes pattes tremblent encore de ce qu'il s'est passé, alors que des soubresauts de larmes secouent mes yeux. Leur soucis se manifeste vers moi, et non vers toi. Alors que je suis encore là et toi non.

Et voilà le couché du soleil. Mon premier sans toi à mes côtés.

Un cycle plus tôt, tu étais là. Amère, sans que je ne comprenne pourquoi. Tu n'avais rien dit. Comme depuis plusieurs semaines. Je pensais que tu te confierais à moi le moment venu, je croyais que tu me faisais confiance. Mais tu me haïssais. Jamais tu n'allais me le dire.

Ou plutôt... Je n'ai pas su écouter. Je repense à ces moments où tu m'as confié tes peines que tu dissimulais en doutes. J'étais parfois trop occupée, parfois je ne les ai pas prises aux sérieux. Que je m'en veux...

Le soleil se couche et ton visage m'accueille à nouveau, dans l'obscurité de la nuit et la lumière d'argent de la lune. Je t'observe, alors que mon cœur se serre un peu plus qu'il ne l'a été toute cette journée.

"Même partie, elle continuera à veiller sur la nuit."

Ta servante préférée me fait sursauter. Je ne l'avais pas entendue arriver sur le balcon. Elle te regarde. Je tourne aussi mon regard vers toi.

"Combien de temps, princesse ?"

Elle m'en veut. Cela s'entend. Et comment pourrais-je la blâmer ? Je lui répond, à mi-voix, un millénaire. Elle reste silencieuse, quelques secondes.

"Puis-je rester au château ?"

Je lui dis de faire ce qu'elle veut. Que cela m'est égal. Elle était ta servante, tu devrais être là pour lui dire. Je ne peux ni la congédier, ni la forcer à reste.

Elle s'incline respectueusement. Non pas face à moi. Mais face à toi. Avant de s'en aller.

Je m'assoie sur le balcon, t'observant. Les larmes me viennent aux yeux. Les mêmes questions que ce matin me reviennent. Qu'ai-je fais ?

 

***

 

Une semaine depuis que tu es partie. Equestria continue. Les jours continuent. Le soleil et la lune se succèdent.

Ce matin, un garde a déclenché un des pièges que j'avais laissés pour toi. Il a fallu aller le chercher dans une salle remplie d'armures et de toiles d'araignées. Je crois qu'il va démissionner.

J'avais fais ce piège trois jours avant ton départ. Pour me venger de la guirlande enchantée de la semaine d'avant.

Quand j'y repense, je ris un peu. Quand j'y repense, je pleure un peu.

Me voici à dîner dans la salle à manger. Vide. Cette immense pièce, sa longue table. Et je suis seule. Ta chaise me fait toujours face. Vide.

 

***

 

"Un an..."

Je finis de baisser le soleil et de lever la lune. Ta servante est là, à mes côtés. Cela fait quelques mois qu'elle s'est ouverte à moi. Elle vient me voir à la tombée de la nuit. Je ne sais pas ce qu'elle fait le reste du temps, elle reste de ton côté du château, probablement. Je n'ose y mettre les sabots.

De ce que je sais, il y a encore deux autres de tes servants qui sont restés. Les autres sont retournés chez eux.

J'inspire lentement, te regardant. Plus que neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf années, c'est ce que je dis à mi-voix.

"Elle me manque..."

Moi aussi. Mais je crois que nous sommes les seules. Et c'est à cause de ça que nous en sommes là. Tu reviendras, un jour. Voilà notre espoir.

"Nous voit-elle ?"

Je l'ignore. Est-ce que tu nous vois, est-ce que tu nous entends ? Est-ce que ces pensées t'atteignent ?

"J'espère qu'elle ne voit pas Equestria la journée..."

C'est cruel à dire, mais je l'espère aussi. Toi qui était si seule et maintenant, là-haut, plongée dans une solitude millénaire et forcée, j'espère que tu ne vois pas le monde. J'espère que tu ne vois pas l'absence de conséquences de ton départ. Car il en a eu, sur mon cœur, sur tes proches. En apparence, Equestria se porte bien, mais si tu n'avais pas été là, qui sait où nous en serions. Contre Discord. Contre Sombra. Il y a des poneys, ici, qui connaissent ton importance.

"Elle m'apparaît parfois, en songe..."

Moi aussi... Et en cauchemar. Cette horrible nuit. Mais je ne pense pas que tu y sois pour quelque chose, ma sœur. Les rêves ne sont plus surveillés, et nos sujets prennent cela pour une malédiction de ta part. Rien n'y fait, ils croient que tu es le mal que tu as combattu, malgré tout ce que je peux leur dire.

Je commence à être fatiguée de cet endroit également. Une moitié de ce château ne sert plus. Je pensais qu'enfermer les Éléments dans des pierres pour ne plus les voir suffirait. Les exposer à l'entrée, même dissimulés, n'était peut-être pas l'endroit idéal pour les instruments de nos tourments. J'ai également fait déplacer la statue de Discord ailleurs. Son sourire me donne l'impression de me narguer. Comme s'il avait su.

Mais le château lui-même me fatigue, m'attriste, m'excède. Chaque couloir me rappelle ta présence, chaque tapisserie ton sourire, chaque vitrail notre séparation. Mon échec. Ta haine.

Tous les jours, des poneys me demandent quand est-ce que le mur va être réparé, quand est-ce que je vais organiser la restauration du palais, mais... Je n'en ai pas le courage. Je ne veux pas effacer un peu plus une dernière trace de toi.

 

***

 

"Dix ans..."

Je regarde ta servante, alors que le soleil se lève. Elle s'est souvenue. Tout le monde se souvient. Le solstice d'été. Le jour de la trahison, comme ils l'appellent.

Elle vit toujours dans notre ancien château. Mais elle vient me voir tous les soirs, dans le nouveau palais de Canterlot.

"Puis-je vous poser une question... difficile, votre altesse ?"

Depuis le temps, elle s'est mise à me respecter un peu plus qu'à l'époque. Pas un respect de sujette ou de servante. Mais le respect d'une jument qui a compris que, malgré ce que j'ai pu faire à la maîtresse qu'elle aimait tant, je n'ai jamais voulu en arriver là. Et même, que j'ai été assez sotte pour ne pas le voir venir.

Je la laisse poser cette question.

"N'y avait-il aucune autre alternative...? Était-ce inévitable ? Sa folle rébellion, et sa punition si cruelle ?"

Elle ne s'y trompait pas... Une question difficile, en effet... Et je sens dans sa voix le regret d'avoir à la poser. Elle comprend que je n'ai peut-être pas la réponse, mais aussi que toi, malgré tout l'admiration qu'elle te porte, est également à blâmer, au moins en partie. Mais elle veut savoir. Elle a besoin de savoir, même après toutes ces années.

Je lui explique. Que les choses auraient peut-être pu être autrement, si j'avais été moins sourde à tes problèmes. Mais qu'elles ont été ainsi. Que la réalité est ce qu'elle est, que nos actes ont les conséquences qu'ils ont.

Je n'ai pas fais exprès de t'y envoyer un millénaire. Le pouvoir des Éléments était de trop pour une seule jument en peine. Ce n'est qu'une fois actée que j'ai senti la dureté de la sentence que j'avais prononcée.

Ce n'est pas du fatalisme de ma part. Ce sont des regrets qui se sont cherchés des excuses depuis dix ans.

Je crois qu'elle accepte. En tout cas, elle frémit, face au soleil, retenant une émotion. De la tristesse, probablement. Je décèle de la mélancolie dans ses yeux.

Je me risque alors à lui demander : puis-je aussi poser une question difficile ?

Elle m'observe, c'est assez rare qu'elle le fasse, intriguée. Mais je suis aussi curieuse, alors je lui demande, pourquoi reste-t-elle ?

Et elle me répond, sans avoir besoin de réfléchir :

"Parce que là-bas est ma place. Et la sienne. À ses côtés, à son chevet, qu'elle soit présente physiquement ou non. Là-bas elle voulait que je sois, là-bas je resterai. Et les autres encore présents pensent comme moi."

Je la regarde, avec un léger sourire triste. Tu étais aimée, ma sœur. Peut-être pas autant que j'étais admirée, pas à la même échelle. Mais si j'avais disparu, je doute qu'une seule personne serait encore en train de s'occuper de mes affaires. Nous fûmes aveugles, toi et moi.

"Princesse...?"

Elle semble troublée. Je l'invite à dire ce qui lui pèse sur le cœur.

"Vous qui contrôlez les astres... Vous qui décidez du jour et de la nuit... Ne pouvez-vous pas... Les faire passer plus vite ? Écouler ce millier d'années en une seule ? La faire revenir plus tôt ?"

Une question déchirante. Pour elle comme pour moi. Si seulement c'était si simple. Si seulement lever et coucher le soleil pouvait faire s'écouler le temps plus rapidement. Mais il n'en est rien. Et, au fond d'elle, elle le sait. C'était une question vaine, mais nécessaire, pour que son esprit soit tranquille. Pour éliminer ce dernier espoir.

 

***

 

Luna... Es-tu toujours à observer ? Es-tu là ?

Ta servante. Ta servante préférée. Cette pégase si douce. Qui m'a tenue compagnie durant tes années d'absences, qui était la seule à vouloir parler de toi en bien, à t'avoir suffisamment connue pour échanger des histoires, des anecdotes, des souvenirs.

Son cercueil descend lentement sous terre. Je l'enterre. Au levé de la lune. Derrière notre château, là où ta lumière pourra l'éclairer.

Je l'ai trouvée morte hier soir, emportée par l'âge dans ses quartiers, après avoir noté son absence. Elle qui venait presque toujours au couché du soleil, pour te voir. Elle était la dernière à être au château. La voici, seule, dans le jardin.

Les deux autres sont partis il y a vingt ou trente ans, quand ils ont compris. Et que je suis idiote de ne pas l'avoir compris également.

Ils ne te reverront pas. Cela ne sert à rien de rester. Un millénaire. Même leurs petits enfants ne te connaîtrons pas. Et leurs petits enfants non plus.

Mais pourtant, elle est restée. Alors qu'elle le savait, dès la première nuit. Elle ne te reverrait pas. Elle a compté les années avant ton retour, et celles de sa vie, sachant très bien lesquelles s'achèveraient en premier.

Et pourtant elle est restée.

Oh Luna... Elle est partie à son tour... Plus de neuf siècles encore, à attendre. Pourvu que tu reviennes bientôt, Luna.

J'ai été aveugle une fois de plus. À compter chaque année devant elle. Je pensais nous donner espoir. Une année de moins à t'attendre. Mais elle, elle savait déjà. Et je ne le voyais pas. N'apprendrai-je donc jamais ?

Puisse-t-elle trouver le repos. Elle qui n'a eu de cesse de veiller sur toi.

 

***

 

Un siècle. Un seul siècle. Un siècle à te regarder te coucher et te lever, chaque jour, si loin.

Et maintenant des années seule, sans personne qui ne te connaît. C'est fini. Presque plus aucun poney vivant ne t'as connue, et les seuls t'ayant aperçue enfant commencent à perdre ces souvenirs. Voir même à imaginer qu'ils n'ont jamais vraiment été vrais.

Je ne peux parler de toi aux gardes. Déjà que cela était compliqué vu le peu d'intérêt qu'ils te portaient. Mais maintenant, je sonne comme une folle à leurs oreilles. Et comment pourrais-je les blâmer ? Tu n'as même pas vécu ici. Une aile t'es réservée, mais pour l'instant, elle est vide, sert pour du rangement ou des ambassadeurs.

Le voilà. Ce centième levé de soleil. La centième célébration du solstice d'été.

Encore neuf cents.

Reviens vite... Tu me manques...

Tiendrai-je seulement...?

Reviens vite, Luna... Nous sommes si seules...

 

***

 

Cinq cents ans. Cinq siècles. Cinquante longues décennies. Et la seule chose qu'il reste de toi, c'est cette fête qu'ils ont nommée "en ton honneur". Nightmare Night. La nuit où la jument des cauchemar enlève les poulain, à moins qu'ils ne lui fassent une offrande.

Voilà ton rôle. Alors que tu as à peine eu le temps de porter cette forme, alors que ta seule véritable action à été de ne pas baisser la lune et de m'attaquer. Tu es le cauchemar,qui a terrorisé Equestria. Qui l'a terrorisée si longtemps qu'au matin il a fallu l'expliquer même aux poneys des villages avoisinant le château.

C'est donc cela ton mythe, ta légende. Peu importe ce que je dis, peu importe ce que je fais, ils salissent ton nom. Ils salissent ta peine.

Ainsi est l'empreinte laissée dans l'histoire par Luna. Ce que des générations de poneys aux vies courtes font à la vérité. J'étais là. Je t'ai vue. Je t'ai affrontée. Mais à quoi bon leur dire, à quoi bon parler de cela. Tous ces discours ne font qu'agiter la lame dans une plaie qui a cicatrisé de son mieux autour. Et leur indifférence a l'effet du sel sur la douleur.

Nous n'avons pas su leur montrer les beautés de la nuit, je n'ai pas réussi à leur montrer le bon de ton cœur. Ils n'y voient que les ténèbres, supposant qu'ils étaient là dès ta naissance, que tu es venue au monde coupable.

Plus que de m'en vouloir de ne pas avoir vu ta peine, je me hais désormais pour ne même pas avoir été capable de rectifier la vision qu'ils ont de toi.

Ta haine est légitime, Luna. Je t'ai volé l'attention que tu méritais et j'ai sali ton nom.

Peut-être oublieront-ils leur haine, d'ici les cinq prochains siècles.

 

***

 

Plus qu'un seul siècle. Et une question commence à me hanter. Comment reviendras-tu ? Reverrais-je Luna, ou bien Nightmare Moon, dans cent ans ? Aurais-je face à moi une jument repentante, hésitante, ou bien un millénaire de haine condensé ?

Que devrais-je faire ? T'accueillir, moi qui ai été ton bourreau ? Et si tu es toujours en colère ? Te punir à nouveau ? Montrer à la face du monde qu'en mille ans, je n'ai rien appris ?

Je n'ai plus la force de porter les Éléments. Ils sont toujours au château. Je ne veux plus les voir, eux qui m'ont privé de toi.

Il me faut une solution.

 

***

 

Luna...

Combien de temps depuis que j'ai pensé à toi ainsi ? Cette année. Cette si longue, interminable année. Elle se finit ce soir.

Je te vois. Dans le ciel. Pour la dernière nuit. Mais j'ai peur. Si peur. Je ne veux pas t'affronter. Pas cette fois. Je ne veux pas commettre d'erreurs à nouveau.

Je me doute que tu m'en veux. Moi qui t'ai tout pris et t'ai punie lorsque tu t'en es attristée. C'est pourquoi tu ne me verras pas. Le jour ne s'opposera pas à la nuit. Si les ténèbres doivent s'abattre, ainsi soit-il. Cela aura été ma faute il y a mille ans, cela sera ma faute demain.

J'espère que mon élève saura faire preuve de plus de sagesse que moi. J'espère que ses mots sauront te toucher. J'espère qu'elle trouvera une meilleure solution. Sinon, je crains pour l'avenir d'Equestria.

À demain, ma sœur. En rêve ou en cauchemar.

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